de la douleur
Je continue à explorer la genèse de ma vocation philosophique.
Enfant, et mes parents finirent par le comprendre, la douleur dûe à leurs coups était devenue le lien privilégié avec eux, la marque non de leur affection mais de leur intérêt pour moi, intérêt pseudo éducatif. J'en réclamais ! Je n'ai eu que 8 sur 10, alors frappez moi !
Mais ce n'est pas tout. Je voulais étudier la douleur, afin peut-être de m'en exciper, de trouver en son cœur quelque refuge transcendantal, et pour ce faire j'avais besoin de leurs coups. Mon père était un expérimentateur sadique et moi un expérimentateur masochiste.
Deux choses m'étonnaient : la première, c'était que la douleur ressemblait à l'infini, faisait ressembler l'instant à l'éternité. Et pourtant deux jours plus tard, je ne ressentais plus rien de cette destruction apparente de mes os, de mon dos, de mon bas-ventre quand mon père m'avait tordu les testicules.
La seconde, c'était que la douleur me semblait faite, au sens d'une matière, de son propre refus, refus tragique car impuissant, sauf dans le trépas. Cela me semblait peu intelligible, illogique même. Il faut dire que je n'avais jamais entendu parler du Christ (Yoshke), ni de son immortalité, fabriquée à base de crachats, de douleur et de mort. En tout cas, sans le savoir bien sûr, j'étais plus proche de Stumpf que de Brentano !
Je voulus m'ouvrir de tout ça à ma mère, je ne sais plus en quels termes, mais elle mit fin à ces efforts pré-phénoménologiques, me disant: "on ne doit pas parler ainsi."
Remarque : Olivier Massin a pu dire que Stumpf avait raison pour les douleurs mais tort pour les plaisirs et Brentano, eh bien l'inverse ! Bref, plaisirs et douleurs ne sont pas de simples contraires... J'ajouterai que la douleur a une évidence, une présence incontestable, que le plaisir ignore. C'est sans doute aussi une question d'intensité. Quand le plaisir se rapproche de ce degré, dans l'extase, il se fait douleur, ou du moins tend vers elle.
Si l'on veut, le sujet transcendantal s'abîme dans la douleur, dans le plaisir il demeure un spectateur esthète. Je sais bien qu'on a pu dire qu'il n'y avait aucune place pour le sujet dans le déploiement de la musique. C'est plus vrai encore pour la torture, même si le Stoïcien parvient à y creuser sa demeure transcendantale. Cela demande de l'exercice, et je n'en ai guère manqué enfant...