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écrits du sous-sol 地階から
4 novembre 2023

Tout sur mes parents

Ma mère m'aimait à sa façon et voulait à la fois que je sois sa chose et que je devienne quelqu'un. Elle fut vite déçue de mes exploits mêmes. Elle voulait que je devienne un cadre, ou un ingénieur, et je devins philosophe. Quand j'eus de la barbe, elle décréta que je n'avais plus l'intelligence qui était mienne petit enfant.

Aussi loin que je puisse me souvenir, mon père me torturait au sens littéral du terme: de quoi voulait-il me punir? Il se cachait à peine de ma mère tandis qu'il me tordait les testicules. Cela le faisait jouir. Je m'etonnais d'être incapable de retenir telle qu'en elle-même cette douleur innommable, annonciatrice de la mort, de ne pas m'en souvenir, disais-je naïvement.

Cela et ses injures...

Ma mère regardait cela avec une sorte d'indifférence, voire de bienveillance, comme s'il s'agissait de jeux normaux, virils. Elle savait ne pas voir, oublier, jouer la cruche absolue, nier l'évidence. Elle se révolta cependant une fois, je m'en souviens, quand mon père commença à me conduire aux cabinets avec lui pour me montrer son sexe tandis qu'il urinait.  

Le monde entier me haïssait, dehors j'étais un sale juif, dedans, mon père avait recréé à sa façon les camps nazis, d'après ses lectures, car il lisait et se voulait - lui un juif, un ouvrier- "fasciste". On imagine ses lectures, en général des ouvrages rédigés par des généraux nazis.

Je m'étais inventé un grand frère protecteur, mais il était faible, quoique consolateur. Je finis par le doter d'une carapace de plomb.

Mon humanité avait disparu en même temps qu'elle avait été chassée du monde. J'étais sans doute un monstre.

Je découvris les idées, la science, les langues, une façon de peupler la folie intérieure, ce miroir de la folie des deux mondes, le dedans et le dehors. Je dessinais, mais quoi ?

Un jour, je serai dehors, je leur échapperais, mais c'était si loin, et j'avais tant de mal à me débarrasser d'eux, de ma mère surtout à qui je m'accrochais malgré sa folie, sa froideur apparente, son silence. Son mépris, elle me croyait incapable de tout, malgré mes succès scolaires. Comme je voulais savoir comment on prononçait les lettres en anglais, elle entra dans une sorte de furie, me traitant de débile. Elle était persuadée que je croyais que parler anglais c'était prononcer autrement les mots français. Peut-être l'avait-elle cru elle-même quand elle était enfant? J'étais sidéré, indigné, par une telle incompréhension.

Jamais pourtant je n'ai rêvé que mes parents n'étaient pas les miens, que les vrais reviendraient. Jamais je n'ai cru en un dieu salvateur qui me sauverait la mise, ni en une épouse dont l'amour rachèterait cette enfance. J'étais trop aliéné pour couver d'aussi aliénantes espérances, qui vinrent plus tard, trop tard.

Étais-je aliéné ? Oui, je trouvais normal ce monde fou, non pourtant que je m'imaginais que c'était pareil partout. Mais mes parents m'endoctrinaient: ils étaient selon eux les meilleurs du monde, car j'étais si monstrueux que des parents ordinaires m'eussent abandonné sur le champ ! Ils avaient vraiment l'air d'y croire. Ma mère me disait aussi que j'avais été un bébé si laid que personne ne la complimentait, contrairement à toutes les autres mamans!

Non, je n'étais pas aliéné, mais détruit. Humainement détruit.

Je n'étais peut-être plus qu'un quart d'humain. Ce n'était pas si mal si je compare avec ma pauvre sœur, mon misérable, pitoyable, frère.

 Puis je commençai à apprendre les langues, à déambuler dans Paris. Sa beauté étrange me subjugua. Où menaient tous ces chemins? Je ne me suis pas confié aux sens, ni à l'imagination, mais à la poésie, au dédale des rues comme des phrases. Non, ce n'était pas le sens, ni l'être, c'était la promesse d'un sens au détour des mots comme à celui des rues. Rien n'arriva.

 

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écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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