du réalisme naïf
L'on peut être étonné de lire chez des auteurs compliqués, des phénoménologues éminents, que nous percevons les choses en elles-mêmes, c'est à dire telles qu'elles sont.
Cela correspond en effet à l'expérience commune. Si je suis myope, la chose m'apparaît floue, je la rapproche et il me semble alors qu'il ne manque plus rien à ma perception, que la chose m'apparaît dans sa complétude.
Les Stoïciens parlaient alors de représentation compréhensive, comparée à un poing enserrant fermement la chose, ou encore à un sceau parfaitement dessiné, une empreinte parfaite de l'objet dans la cire de mon cerveau!
Zénon de Cittium, à lire Cicéron, montrait sa main ouverte, les doigts étendus : « Voici la représentation », disait-il ; puis il contractait légèrement les doigts : « Voici l'assentiment ». Puis il fermait la main et serrait le poing, en disant : « Voici la compréhension » ; c'est d'ailleurs d'après cette image qu'il a donné à cet acte un nom qui n'existait pas auparavant, celui de katálepsis ; puis avec la main gauche, qu'il approchait, il serrait fortement le poing droit en disant : « Voici la science, que nul ne possède sinon le sage ».
C'est bien plutôt, en réalité, une expression du caractère pernicieux de la certitude sensible, je suis satisfait quand ma perception est aussi définie qu'il est possible au cerveau humain. Cette illusion nécessaire est pourtant surmontée depuis longtemps, au moins depuis l'invention du microscope! Il me révèle que le monde doit être compris tout autrement quand il est vu de plus près.
L'histoire: classiquement elle présente, vue de loin, son visage véridique, celui de la nécessité, par exemple le progrès, ou bien la décadence, l'entropie, la dissolution du sens humain.
Wilhelm von Humboldt l'a merveilleusement dit: ce n'est que de loin qu'on aperçoit la forme des nuages. Ou des langues.
Gell-Mann, avec son microscope quantique (ce n'est qu'une métaphore!), va dans le sens inverse, et révèle dans l'instant la superposition des scénarios encore intriqués. Une chose n'est jamais parfaitement définie, l'état défini n'est au mieux qu'un macro-état qui recouvre une multiplicité de micro-états, ignorés, voire indéterminés en soi.