Maladie, mon amour
Nous bûmes ensemble l'eau claire de la même vive fontaine, un même matin de printemps, un même jour du même mois de mars, mois savant en toutes senteurs et toutes alchimies, mois trismégiste, quand enfin l'amour et toutes les maladies éclosent et lèvent, comme du bon pain, de même levain. Nous bûmes ainsi le même lait de maladie, le même poison bien clair, qui abreuvait ton coeur, et mon coeur, oui, la même liqueur, celle qui peignit à jamais mon coeur de vin, d'amour échevelé et chétif, car tu es si chétive, Mageyfe, ma mie, perchée sur tes hauts souliers, qu'on voudrait te protéger comme on protège un enfant joli, un enfant mal luné et timide, Mageyfé.
Ah, la sève de ton sein rêvé! Hélas ! Une maladie, un venin, ou bien quelque dieu maussade et empoisonné, Saturne, veilla invaincu sur nos deux berceaux, dedans la même rivière, le même fleuve d'Egypte, où Moïse, autrefois, ne se noya point, dormant à poings fermés son sommeil enfantin dedans son panier d'osier et de joncs, son panier d'herbes amères, et caschères!
Et je t'aime, Mageyfé, et tu ne m'aimes point, et tu m'aimes, et je ne t'aime point, maladie, ma mie, Mageyfé.
Sous la même étoile! La belle étoile de tes lèvres, que je ne pus baiser, auxquelles tu ne sus m'abreuver, l'étoile mauvaise de mes rêves empoissonnés de tant d'amours ailés ! Il pleut des anges et des étoiles, pourquoi tant de magie inutile, l'amour? Voici à jamais mon coeur cousu au tien, Maladie, juste là où tu portais jadis ta mauvaise étoile, et tu n'as point de coeur, Mageyfé, car tu n'en as jamais eu, car on ne t'aime guère, l'amour, car tu n'as jamais aimé, Maladie ! Seulement, tu ne le sais point, et ne songes qu'à me fuir, l'amour, moi qui ne te poursuivais point!
Je ne te poursuis point, puisque tu es moi, puisque tu es l'âme même de mon âme, puisque tu es la même âme que la mienne.
Ame échevelée de mon coeur, maladie de ma mélancolie et de toute mélancolie! Tu n'es, Mageyfé, que la main qui caresse quand elle frappe de toute sa doucereuse indifférence, tu n'es que la main qui tue quand elle caresse. O main droite et main gauche, ta main et la mienne, confondues enfin! Car tu es la plaie et le baume de tous mes chagrins. Tu es le serpent et le vulnéraire! Je ne t'accable point, amour, car je t'aime comme tu ne m'aimes point, je ne t'accable point, maladie, car tu m'aimes comme je ne t'aime point.
Tu es mon bonheur, tu es mon destin, tu es mon chagrin, tu es mon malheur, tu es, Mageyfé, un venin joli comme un coeur, un tendre poison et qui sourit à la vie. Et je t'aime à jamais, ô mort délicieuse, je t'aime comme on aime une femme, une épouse vénéneuse au lait frelaté, à jamais empoisonné!
Bientôt, maladie, Mageyfé, tu mangeras de baisers sous terre ma charogne...
Maladie aux yeux clairs et sereins comme un sage breuvage, femme aux yeux orangés comme un jardin d'Italie, un jardin plein de maladies, comment l'eau sage de tes yeux a-t-elle pu rendre mon coeur amoureux? Car l'amour est maladie, l'amour impartagé demeure seul intègre, o ma vierge folle, et il n'en est point d'autre, en vérité, il n'en est point d'autre puisque tu m'aimes et que je ne t'aime point, puisque je t'aime, Mageyfé, et que tu ne m'aimes point...
Etc... etc... et ainsi, et ainsi ,à l'infini. L'infini de notre amour impartagé, beau comme un coeur, une orange que l'on garde sur la cheminée, comme un jaunet qu'on ne dépensera point, comme un temps béni et qui ne passe point.
Explication
Mageyfé veut dire épidémie...