des mythes conceptuels
Humboldt expliquait que par nature la poésie rejette la prose, qu'elle tend à assimiler à la volubilité de la langue le spectacle du monde, tandis que la prose a pour destination de démêler l'écheveau de la réalité... Mais dans ce texte, Poesie und Prosa, le mythe brille par son absence.
J'appelle mythe conceptuel une rationalisation d'un problème métaphysique ou existentiel. Cette gnose a pour particularité de substituer un réseau abstrait de notions, d'entités et de récits plus ou moins complexes à la réalité naturelle ou historique qu'il s'agit d'interpréter. Le but est de faire coller les extrémités de ce réseau avec les traits les plus saillants, ou scandaleux, du réel. Et aussi de ménager une espérance.
Ici métaphysique et poésie se rejoignent dedans un commun hermétisme. Il y a aussi rapport avec des formes très élaborées de théories scientifiques. L'espérance en moins je suppose, et sa violence
Je crois par exemple expliquer le mal en délaissant la nature de l'homme et en parlant de péché originel, ou d'un effondrement du cosmos, seul le mauvais mur est resté debout, du côté gauche, etc... Etc...
Erasme considérait ainsi que la doctrine du péché originel d'Augustin n'était qu'une construction théologique. Il en allait comme de ces hypothèses dont l'astronomie se servait avant Copernic, épicycles et autres excentriques. Il s'agit non de sauver les apparences, mais de rendre compte tant bien que mal de mystères, comme celui du Mal permis par Dieu selon le livre de Job, et donc d'obtenir l'acquittement de Dieu en cas de théodicée. Mais le mystère n'est en rien dissipé par ce genre d'explication, ce dont Bayle se souviendra.
Bayle: Dieu aurait pu choisir l'une ou l'autre hypothèse théologique indifféremment, c'est-à-dire sans perdre de sa perfection. L'une et l'autre hypothèse religieuse sauvent donc également cette perfection, et aussi la morale. Il en va comme de deux systèmes astronomiques, Copernic et Ptolémée sauvent, certes par des hypothèses opposées, héliocentrique ou géocentrique, les apparences célestes.