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écrits du sous-sol 地階から
16 juin 2016

extrait de mon second roman

« Ne ris pas, imbécile, ta mère a eu un malaise. C’est grave, elle, elle… » Il ne pouvait achever. « Tu verras par toi-même » dit-il enfin dans un souffle. Il avait un petit air ému, un peu narquois sur les bords pourtant, Hervé, le cœur serré, restait sur ses gardes tandis que son grand-père le conduisait vers la chambre jaune avec l’onctuosité d’un entrepreneur de pompes funèbres. Apeuré, Hervé résistait, traînait en arrière, si bien que traverser le petit appartement leur prit vraiment beaucoup de temps. Le cabinet de toilettes était ouvert, on apercevait le bidet où, dit Pépère, sa mère Gaëlle faisait encore sa toilette il y a quelques heures à peine. L’enfant refusait depuis longtemps de se rendre dans ce réduit, car il ne voulait plus traverser la chambre du vieux. Il se lavait,  assez rarement, dans la cuisine, dans une grande bassine de plastique bleu qu’il posait sur le carrelage noir et jaune au risque de prendre une raclée mémorable si jamais il la renversait. De toute façon, se disait Hervé, quand le vieux voulait le frapper il trouvait toujours une raison, ou bien il s’en passait.

« Vois, c’est ta mère. Les pompes funèbres vont venir la prendre, tu dois vite en profiter » fit le vieux avec une gravité bouffonne. Le cadavre de Maman reposait sur le lit, sous un drap blanc ; seuls dépassaient les pieds, ou plutôt les pantoufles roses, celles-là même que Gaëlle emportait partout avec elle. « Regarde-la bien, je vais la découvrir. Regarde-la bien, c’est la dernière fois que tu vois ta maman. Ta mère, Hervé, est… morte. » Le ton était plus cynique que triste, Hervé n’en avait cure, sa mère était morte. Il hésitait à s’approcher, il comprenait à peine ce qu’était la mort, il avait une peur panique du cadavre, de cette chose inconnue, incompréhensible, obscène, méchante, cachée sous le drap et qui avait été sa maman. Et puis il avait peur que Pépère en profite, l’agrippe au passage, le prenne à bras-le-corps pour le jeter par la fenêtre. En plus, quelqu’un, ou quelque chose, frappait derrière la cloison du petit cabinet de toilette. Pourtant, d’habitude, la bête mystérieuse n’était pas enfermée là mais dans la pièce à côté de la chambre verte, la pièce que Pépère appelait la salle à manger, et où Hervé n’avait pénétré qu’une seule fois. Mais peut-être était-ce simplement le pauvre petit cœur d’Hervé qui battait très fort ? Un jour qu’il avait la fièvre, à Villers, il avait été victime de la même illusion.  Quand il fut tout près du cadavre - il fallut pour cela encore cinq bonnes minutes, le vieux ne se mettait pas en colère, cela aurait dû étonner l’enfant - le grand-père souleva d’un coup le drap. Le cadavre n’était fait que d’un traversin et de couvertures roulées, le vieux avait aussi planté deux pantoufles vides entre le matelas et le châlit.

Le petit s’assura qu’il n’y avait vraiment rien, rien du tout, sous les couvertures roulées. Pépère l’observait, sans rire, avec cette attention excessive qui semblait fouiller sa proie, la scruter,  comme avide d’apprendre quelque chose. Une pensée mauvaise semblait rouler dans ses yeux noirs, et cela lui donnait l’air morose, comme déçu d’on ne savait quoi. Le petit osa se plaindre de la plaisanterie. Le vieux, sans rien dire, le traîna dans la chambre verte où il ramassa la rallonge électrique et commença à fouetter l’enfant.

 

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écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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