Charme
Enfant, je me demandais à quoi ressemblait l'arbre que l'on nomme Charme. Vivait-il sa légende, tel Lancelot sa Viviane auprès des eaux, des marais? Ou bien de tes deux yeux, lacs si clairs qu'ils pleuraient parfois d'un inhumain chagrin ?
Quand je n'étais qu'un Kindele, un Yingele, un Yidele, je serrais si fort contre moi mon bonheur qu'un jour, une nuit, je le tuai. J'étais bien jeune déjà un assassin, je me cherchais une femme, comme une maison où demeurer enfin. Ainsi l'ombre fugueuse rêve dedans sa nuit d'une tombe, d'un château à hanter!
J'aime, comme on aime, ton si doux refrain, qui s'efface à mesure, ton parfum léger, couleur de fougères, de chèvrefeuille peut-être, j'aime, comme je t'aime, déambuler parmi tes herbes folles, tes furieux taillis, les maisons de tes lèvres closes, les villes, les villages, O visage, et les rues emmêlées comme tes cheveux drus, comme le dédale de tes pensées, des pensées pentues de ton vieux Montmartre, de ton vieux Poitiers. Jamais, non, jamais je ne pénétrai ces porches immenses, ainsi qu'un temple, une église, semblables à tes rêves, à mes rêves confus, et jamais je n'oserai effleurer ta main si douce, ni connaître la saveur de tes deux paumes. Aujourd'hui encore je marche dans ces ruelles comme je rêve à ton odeur! Voici ce qu'est le bonheur, un oiseau bleu et vert qui vole bien haut et que tu ne dois pas appâter.
Le Zeyde, plus juif qu'un antique Talmud, contemplait au mur un portrait immense de Yoshke, le réprouvé de Dieu, le supplicié et sa couronne d'épines, et de viles orties, l'icône des Goyim était rendue enfin à la douleur du peuple des peuples, O Chagall, O Stalingrad, O Auchwitz.