de la horde primitive et de la recherche philosophique
Le jeu philosophique, à la Wittgenstein. Jeu de langage, c'est-à-dire enfance, plasticité de l'imagination enfantine, curiosité, armée cependant des instruments d'analyse les plus rigoureux. Dommage, certes, que Wittgenstein ait voulu casser le jouet philosophique par excellence, la réflexion métaphysique!
A ce jeu createur s'oppose, plus encore que le pragmatisme, le dogmatisme: on fait du Grand philosophe un dieu mort et immortel, le père Freud par exemple, entouré d'une horde de fils, les psychanalystes, qui se déchirent. Ils sont comme les héritiers d'un père radin et riche, qui vivant les frustrait de sa fortune, et ne savait jouir, sinon de leur frustration!
C'est oublier que plus encore que l'argent, car le capitaliste ne thesaurise guere, la pensée n'existe que dans la vie, la contradiction, l'objection.
Sinon, le père mort continue à retenir seul la vie, la jouissance, justement parce qu'il n'en jouissait pas, mais la donnait à envier à la horde freudienne primitive. La horde mythologisee par Freud, et celle qui l'entourait dans la réalité !
Chacun des fils reproche à l'autre, en somme, de jouir de la vie retenue du père, donc de sa mort, donc de l'avoir tué, ou du moins de ne pas lui avoir porté secours (la mort de Staline). Qui a mis en perce, comme un tonneau de vin, un coffre fort, le corps du père ?
Kierkeggard:
"Un antique proverbe inspiré du monde externe et visible dit que 'seul celui qui travaille a du pain'. Il est assez singulier que cet adage ne s'assortisse point au monde auquel, justement, il appartient. Car le monde externe est soumis à la loi de l'imperfection, et l'expérience vérifie encore que l'oisif trouve sa pitance, et que le dormeur, lui, la trouve aussi, et même plus abondamment encore que celui qui travaille. Dans le monde extérieur TOUT EST PAYABLE AU PORTEUR ; ce monde est soumis à la loi de l'indifférence, et c'est à celui qui possède l'anneau que l'esprit de l'anneau obéit, fût-il NOUREDIN ou ALADIN. [...]. Il en va autrement dans le monde de l'esprit. Il y règne un ordre divin, il n'y pleut pas à la fois sur le juste et l'injuste, là, le soleil ne se lève point également sur les bons et sur les méchants : là, on peut dire en vérité que seul celui qui travaille a du pain, que seul l'angoissé trouve le repos,[...]. Il ne sert à rien d'y avoir ABRAHAM pour seul père, ni d'y compter dix-sept ancêtres - celui qui ne veut pas travailler s'y voit appliquer la parole de l'Ecriture sur les vierges d'ISRAËL : il n'enfante que du vent ; mais celui qui veut besogner, celui-là enfante de son propre père ." ( Crainte et tremblement. Traduit du danois par Charles LE BLANC)
Comme le génie de l'anneau ou de la lampe sert celui qui détient l'objet magique, l'argent sert son propriétaire; mais quand il s'agit de l'esprit, l'héritage connait d'autres lois. Il ne sert à rien de descendre d'Abraham, si l'on reste en somme intellectuellement vierge, si l'on ne pense pas par soi, l'on n'enfante que du vent. Il faut au contraire engendrer de son propre père, c'est-à-dire travailler, ne pas se contenter de la pensée pure du père sans rien y ajouter, surtout pas!
Autant dire qu'il faut introduire du féminin (enfanter) dans l'antique rivalité d'Esaü et de Jacob. En ce sens, Jacob, qui ne respecte pas la loi, celle du père, épouse son père!