du supplément de toute jouissance
Le je ne sais quoi, le presque rien, l'objet a lacanien, l'amour, la reconnaissance. l'Un plotinien. l'Etre des étants.
L'idée, ou plutôt le désir, ou la demande, d'un supplément impondérable, et qui est l'essentiel, mais est insaisissable.
Ce supplément vient irriser le donné, en estomper les angles. C'est l'idéal des poètes, des stylistes, des amoureux.
Hélas, tout dégénère quand on tente d'arraisonner cet impondérable, quand de supplément, de luxe, il se fait objet de nos passions rageuses, d'autant plus rageuses que par nature l'ombre n'est pas une proie!
Épicure et sa critique de l'amour, de la passion qui s'attache à des simulacres qui jamais ne nous nourriront; ils alimenteront au contraire le feu de notre faim, de notre soif.
Ce qu'il faut comprendre: ce n'est pas là une pose de l'amateur de supplément d'âme, qui veut du mystère et du sentiment. C'est une passion, une rage, et aussi une abominable déception, toujours recommencée. Mme Bovary.
Lacan y lit une structuration profonde de l'inconscient : le désir n'ayant pas d'objet, rien ne saurait être à la hauteur de ce dévorant néant ! Rien n'égale, sinon la mort, ce point absolu et brûlant, le rien devenu objet... Objet a, lire petit a!!
Ce qui dans l'amour n'est pas charnel, ni amical, mais vise le sublime. L'amour courtois. Le métaphysique de l'amour. Lévinas.
La Rochefoucauld:
- Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu
- Il est difficile de définir l’amour. Ce qu’on en peut dire est que dans l’âme c’est une passion de régner, dans les esprits c’est une sympathie, et dans le corps ce n’est qu’une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime après beaucoup de mystères.
- S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui qui est caché au fond du cœur, et que nous ignorons nous-mêmes.
Ce qui n'est ni esprits animaux, ni désir, mais le mystère et le brouillard de l'amour, l'insatisfaction de tout amour, qui est l'amour lui-même, qui n'a pas de lui-même. Il parle aussi du désir de régner dans les coeurs, ou le coeur. On veut être préféré, élu, mais par tout le monde et par personne peut-être. Ce que la plus belle fille du monde ne peut donner, d'où l'invention de Dieu, pourrait-on supposer.
La ruse de la nature: envelopper le besoin de l'espèce de brouillards qui deviennent l'essentiel. L'amour est cette perversion, et par là il existe indépendamment de la nécessité naturelle, mais aussi de la personne aimée.
L'amour est en soi insatisfaction (dénuement, pauvreté, faute de savoir ce que l'on aime, et si on est aimé pour soi): c'est davantage (!) un dt, un différentiel fluent, qu'un aleph, un infini en acte, un tout au-delà des étants. Je ne sais pas si Lacan était très fort en calcul différentiel, mais Plotin l'aurait été, c'est certain.
Pascal, à propos de mathématicien : m'aime-t-on, moi? Ou bien une foule ? Mon corps? Et si je suis défiguré, estropié ? Mon âme ? Et si je deviens sénile, ou fou? Où est cet objet qu'on aime en moi? Et quel rapport a-t-il avec moi?
Je n'aime pas celui que j'aime, mais l'objet a. Par conséquent, je ne suis pas aimé, mais l'objet a en moi.
Or cet objet n'est pas seulement caché dans les tréfonds de l'inconscient insondable, ou derrière les étants, ni dans la logique inhérente aux relations du sujet et de l'objet, je veux dire à l'insatisaction du sujet.
Il a une existence sociale, c'est l'autorité, et il s'y présente alors comme pouvoir, mana, un flux, une aura. Le presque rien de l'autorité.
Celui qui est privé de toute autorité: il n'existe que par l'onction, ou le refus, que lui accorde celui qui a de l'autorité.
Parce que ce supplément ne se confond pas avec celui qui semble le posséder, l'autorité est vagabonde, au moins en droit.
Ce n'est ni le phallus ni l'amour maternel, mais un tiers, impondérable, dans la scolastique lacanienne (si je comprends bien, ce qui est ne pas comprendre). L'argent en est la meilleure approximation, peut-être, il est la valeur de toute chose, mais vaut un peu plus que ce qu'il achète, nous explique Simmel. Mais en soi, l'argent n'est rien, du papier. Et rien n'atteint tout à fait ce que vaut l'argent, informe, polymorphe.
La tentation est grande de relier ce supplément, et son nihilisme foncier, et la mystérieuse pulsion de mort, car on détruira tout ce qui ne vaut pas ce Rien.
Il y a ceux qui semblent persuadés de posséder, comme droit à être, cet impondérable, et par conséquent ils se soucient peu des autres et de leur reconnaissance, du moins de fait. Le salaud sartrien en somme.
C'était mon petit voyage, tardif, dans les années soixante et soixante-dix... Il m'a fallu ce temps pour croire comprendre quelque chose à la mathématique lacanienne!
L'on veut posséder, et ce que l'on possède, c'est rien, parce que ce n'est pas ce que l'on demande. Et ce que l'on demande, c'est encore rien, mais un rien d'une autre nature...
Etc... etc... et à l'infini!