la ruse de la technique
En tant que poète et philosophe faustien, je me suis longtemps intéressé aux techniques, je veux dire à la philosophie de la technique, pas seulement pour déplorer, mais pour comprendre. J'avais le sentiment que l'intelligence technique, sans se réduire à l'intelligence des mains, ne se confondait pas avec l'intelligence scientifique, que par conséquent il y avait aussi quelque chose d'irréductible au faire dans les sciences, et peut-être aussi dans les techniques.
Il ne s'agit pas seulement de faire, de prolonger le corps dans l'outil, mais aussi de faire faire, de substituer à l'acte humain le processus mécanique. Ainsi la noria qui tourne, tourne, indéfiniment, mue par le flux de la rivière. La technique, fille de la paresse autant qu'expression du désir de faire.
On peut conclure beaucoup de choses de E=Mc2, y compris la possibilité de la bombe atomique. Mais pas la bombe elle-même, le déclenchement pratique du processus infernal! De même le concept de l'électricité ne donne pas l'idée de l'interrupteur.
Et par conséquent, E=Mc2 est bien autre chose que la promesse de la bombe, cela dit aussi l'identité toute conceptuelle de l'énergie et de la matière, le caractère central dans notre monde du phénomène lumineux, etc...
Mais que dit la techique qui ne soit pas technique? L'importance du nécessaire détour, la ruse qui retourne la nature par la nature elle-même, et en fin de compte cette même liberté que celle du joueur d'échecs, ou que celle du mathématicien au coeur de l'axiomatique, qu'il retourne par l'invention mathématique, à savoir par le pas théorique qui fait passer du connu au théorème inconnu via la ruse.
Hélas, le juriste qui procède de même est un filou.