Le messager

Kafka: il y a bien longtemps, il y a une infinité de temps, le messager s'était élancé. Il ne pensait qu'à une chose: moi, qu'il devait rejoindre.

Dieu, qu'il allait vite! Plus vite que toute lumière. Dieu, qu'il était puissant! Et fidèle à son message. Il fracassait les murs, et derrière chaque mur il y avait un autre mur. Rien ne l'arrêtait tant il était fort.

Hélas, il y avait tant de murs entre lui et nous, entre lui et moi. Il brisait chacun de ces murs, il ignorait tout découragement, il ralentissait imperceptiblement, cependant, à chaque muraille qu'il lui fallait abattre.

L'infinité des temps s'est écoulée ainsi, il voyageait et j'ai fini par naître, et j'ai grandi. Mais le messager rapide, malgré cette infinité des temps déjà passés, déjà perdus, n'est pas parvenu jusqu'à moi, ni jusqu'à son peuple.

Et s'il m'était parvenu, pendant mon sommeil, sans que je m'en sois rendu compte? Mais je dormais, je n'ai pas entendu la loi comme il le fallait. Je suis dans le péché le plus absolu, et par ma faute, car pourquoi me suis-je endormi en l'attendant?

Et si j'avais veillé? Et s'il était venu, malgré tous ces murs qu'il lui fallait abattre? Mais après tout ce temps était-il le même? Et son message, ne s'était-il pas altéré?

Et celui qui l'avait envoyé? N'est-il pas mort? Ou bien a-t-il changé d'avis? Ou bien il m'a oublié?

Au tout début, l'envoyé était le même que celui qui l'envoyait, et puis de chute en chute, il est devenu un autre. Et moi, son peuple, de même..

Ce n'est pas le premier envoyé qui serait parvenu jusqu'à moi, chaque mur le changeait, ce n'est que l'envoyé de l'envoyé de l'envoyé...

C'est la mouche sur le col de la mouche qui se trouve sur le col du gardien de ma porte. J'attends cependant.

Il aurait mieux valu quelque muraille de Chine, une muraille pleine de trous, et par ces trous, l'envoyé me serait parvenu, ou bien je me serais avancé dans le désert, à sa recherche. Nous serions-nous trouvés? Bien sûr que non.

Il fallait pourtant un mur, pour qu'il y ait une chambre, ma chambre. Et c'est sur ce mur que j'écris son nom, que j'ignore pourtant.