Pourquoi encore te nommer, ma Mère? Tu n'as plus de nom. Poème

J'ignorais le nom des arbres, des fruits, des branches, de la vie, de la mort, du seuil et du battant de la porte, car ils n'en avaient point. Non, pas même un nombre ne les nommait, ni ne les nombrait! Et quel serait, sinon, le nom du Nombre? Et quel serait sinon le nombre du Nom?

Est-ce qu'un rêve rêve qu'il rêve? Non, et pourtant parfois peut-être, puisque tu es venue jusqu'à moi, ma Mère, toi dont le nom était Prière, toi dont le nom était Absence, ton nom, ô mon Amour, était ton absence, et ma mort. A quoi bon alors mêler de sel, ou de fiel, de tels mets? Ils excèdent comme toi l'humaine saveur, l'humaine odeur, l'humaine puanteur, cette charogne vive, comme un fleuve quand il devient égoût!

La prostituée divine ne me recevait point, plaisir n'était lui aussi qu'un mot, qu'un nombre, vain comme nous le sommes tous. C'est dans ce signe vain que je t'ai pourtant vaincue, signe vain, et vide, je m'étais absenté, pour te visiter, pour me retrouver, odieuse putain, dans le noir et le bleu de tes deux yeux. Je ne m'y mirais point, je n'aimais point alors les miroirs, car je n'existais pas encore, et même cela, je le rêvais seulement, car ce n'était pas vrai!

Je voulais dire le fruit rouge de la vie et de tes entrailles, ma mère, la viscère qui bat ma mesure, et les mots sont trop vastes, ils ne sont point à ta taille, ô pauvre épouse, si chétive, si frisée, sur tes jambes plus maigres que bien des branches, que les dernières branches que le bouleau épuisé tend vers un ciel gris comme un mur. Murs du temple? Que nenni! En tout cas pas le premier, ni même le second!

Silence, ma maman, je te nomme et voici que comme moi tu t'occupes à mourir, mourir encore, chaque nuit, et malgré ta compagnie je reste seul, moi qui te pleure, moi qui n'existe guère encore. Est-ce que je me perds dans ton silence vaste comme la vastitude, comme dans l'eau se perd la goutte du musc? Ou bien n'est-ce pas le contraire? Ton fruit n'est-il pas, et toute branche, et toute feuille, un monde, et moi-même une île, tandis que j'étais Consul? Une île plus vaste et plus pleine, serait-ce par mon néant, que cet Océan? Ile verte, mer blanche, dit-on mais ce n'est pas ta religion! Car comme moi tu n'en avais aucune.