Le vieux sage parlait, et ne me parlait point, il parlait du ciel-terre et de la terre-ciel
Le ciel, me dit le sage impénétrable, la terre n'agissent jamais, et pourtant toutes choses, le mistral et le nuage, le fruit et l'animal, sont faites de ce mariage ineffable.
Cela me donna à penser, et quelle était donc, me dis-je, que cette différence du faire et de l'agir? Je compris cependant que la terre et le ciel n'étaient à ses yeux las qu'une seule et même chose, sans lien pourtant sinon la pluie et le vent, et quelques météores chus abominablement. J'avais seulement oublié de lever la tête, et de contempler les nuages à fond plat, comme autant de barques de nos marais. Agir, me dit encore le sage, c'est se donner de la peine, le nuage ou le fruit ignorent toute peine, comme le ciel dont ils naissent, comme la terre dont ils naissent. Je compris enfin, il ne me parlait pas, pour lui je n'existais guère, et lui non plus.
Ainsi va la nature, disait-il du moins, elle ne se fatigue point, elle ne s'épuise point, et l'homme devrait l'imiter et ne le peut que dans ses rêves. C'est qu'il va contre la nature, c'est qu'il va contre sa propre loi.
La loi du ciel est bien plus vaste, et bien plus vide, me dis-je enfin, que je ne suis vide moi même. Souvent dans la vie je contemple, je suis là présent, et je ne participe point, j'entends et je n'entends point, car je me dédouble, comme si en moi aussi il y avait ce ciel si vaste au-dessus des villes étroites, et que j'étais aussi cette ville, et encore la terre féconde, mon corps peut-être?
J'ai connu les peines immenses et inutiles de l'amour, et j'ai renoncé, comme j'ai renoncé à tout, sauf au ciel et au temps, qui passe et ne passe point, comme j'agis et n'agis point. Et à la terre, que je n'oublie point.
O vieux sage impénétrable, es-tu content de moi?
Il sourit et cracha, mais il ne me sourit point. Peut-être qu'il ne m'entendait pas?