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écrits du sous-sol 地階から
26 novembre 2019

Du discours politique en temps de crise démocratique

Le discours des politiques. Il est particulièrement codifié, au sens d'une langue de bois, chez la République en marche.Politique et jeux de langage, en somme.

A qui s'adresse-t-il pour commencer? Pas aux partisans (il n'y en a guère, car ce n'est pas un vrai parti), ni au pouvoir lui-même, en particulier économique (il n'est pas dupe). Il faut s'adresser à ce peuple dont on voudrait (néo-libéralement) nier l'existence. Or du fait même du déclin des idéologies, de gauche en particulier, ce peuple, ou ce non-peuple, est sans idéologie, amorphe et à la recherche de lui-même (voir les analyses effrayantes de Hannah Arendt). On ne sait pas comment parler à ceux qui ne croient plus en la langue de bois, sinon par un redoublement de langue de bois. C'est comme une drogue qui ne marche plus, alors on double la dose, en vain bien entendu.     

Dans une logique démocratique, et aussi par hostilité aux corps intermédiaires, le peuple est pourtant considéré comme un tout, le grand Tu auquel s'adresse le grand Moi du président: en fait il s'agit de l'opinion publique, qui s'exprime par les votes et au-travers des sondages. Le politique croit, au sens de l'engagement ontologique de Popper, en l'existence de cet interlocuteur, une hydre plurielle, à la fois chacun et personne. Il s'adresse à lui, mais ni comme à un patron dont il serait le serviteur (ministre) ni comme à un sujet dont il serait le souverain. C'est un partenaire, mieux un adversaire. Le politique y croit et il n'y croit pas. Mais pour manipuler quelqu'un, il faut croire qu'il existe, semble-t-il.

L'élu de nos Cités démocratiques au sens libéral du terme a de commun avec le tyran ou le chef de la démocrature de se méfier du peuple, il ne veut pas qu'il advienne, car il sait que ce sera contre lui. De plus il sait que le peuple n'existe pas réellement, mais qu'il existe tout de même, comme représentation, au double sens du terme, et d'abord au sens de Georg Simmel quand il recherchait les catégories a priori de la sociologie. Qu'est-ce que l'être de la société? la croyance par tous et chacun en son existence. C'est une forme (c'est le cas de le dire!) parmi d'autres de la substitution bien connue d'un fantôme à un autre, celui de Dieu.

Bref, il faut tromper le peuple, en tout cas lui parler, mais pour l'empêcher de se mobiliser, c'est-à-dire pour l'empêcher d'advenir. C'est un baume, un charme, comparable à celui qui faillit tuer la Belle au bois dormant du conte.

Son réveil, je veux dire cet avènement du peuple, de fait, "lui' coûte cher, car c'est la révolution, ou du moins son simulacre. On sait bien que cela ne devrait pas se produire, puisqu'en république, la voix du peuple, c'est celle de son représentant. Mais enfin cela marche moins bien en république qu'en dictature fasciste, d'où peut-être la scandaleuse assimilation d'un élu bourgeois à un dictateur. Il semble parler comme un dictateur du fait même qu'il se coule dans la grammaire républicaine!

On passe donc facilement de l'incarnation du peuple à la duperie du peuple. "Tu as voulu ce que je veux, puisque je suis toi, puisque tu n'existes pas réellement". Le tromper, c'est cependant lui faire croire qu'on le sert, c'est jouer la carte du paternalisme, le médicament est amer, dont il est efficace, c'est encore lui faire peur de sa propre ombre, de sa propre existence. C'est violence, c'est carnaval, que l'existence du peuple. C'est rebellion, voire révolution. Rien de plus exact.

On s'adresse donc à chacun pour qu'il se méfie du peuple. Mais ce faisant on s'adresse à l'opinion publique et on contribue à nourrir le peuple, à le faire être. "Sois raisonnable, mon enfant". On a peur de moi, se dit l'enfant, donc j'existe, ou plutôt "on" existe. Contre qui? Ceux qui précisément sont hors du peuple, hors de ce on, de cet enveloppement comparable à la substance dont sont faits nos rêves.

Il faut mentir sur le sens d'une décision politique impopulaire, la présenter par exemple comme inspirée par les valeurs, les droits de l'homme et du citoyen, quand plus prosaïuqement  il s'agit d'appliquer une idéologie économique, de liquider les statuts mis sur pied autrefois pour l'utilité publique (le concours républicain, la pension du fonctionnaire qui n'est pas une retraite en réalité, ni un privilège, mais l'expression d'une reconnaissance d'un mérite, celui de serviteur du public). Hélas, ça se voit, comme on dit, parce que les avantages liés à un statut public sont présentés comme injustes, ruineux, mais pas ceux liés à l'héritage ou à la spéculation.

Rappelons que contrairement à une légende l'histoire du libéralisme ne se confond pas avec le néo-libéralisme. Il y a eu un libéralisme social, un solidarisme, et encore un libéralisme qui mettait en avant la liberté d'être soi, y compris la liberté solidaire, et non l'argent. La personne et ses capabilités. Nous touchons là non seulement à la philosophie politique et morale, mais aussi à l'épistémologie de la sociologie et même de l'économie.

     

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  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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