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écrits du sous-sol 地階から
3 janvier 2022

Visages mouillés sous la pluie

Visages dans la nuit, visages sous la pluie.

Par toutes les larmes de mon coeur qui pleure tousse et oublie! Je pense à vous beaux visages tandis que je me rends au turbin, je pense à vous, rivages et portes de la nuit, portes et rivages de la pluie. O pneumonies! O phtisies! Tuberculeux, comme vous toussiez bien, et combien je tousse, tandis qu'Avril verse à foison de son urne sale toutes les maladies.

A peine sorti du lit, de mon lit frileux, comme d'une barque échouée, une île où je rêvais d'ombres, et puis de proies, des lames du Tarot, de palmes et de cédrats, de maïs ,de courges et de haricots, que me voici trempé, et je déambule dans les rues sombres, étroites, mal pavées, de Poitiers.

Ombre à mon tour, porteur de gamelle, de bentô et de quelques illusions d'autres fois, d'autres lieux, quand j'étais Suisse allemand, lorsque j'étais Juif de Java, gardien des trésors et des banques, à la Défense, tout près de Paris, ou bien à Bâle, au bord du Rhin.

Or et cailloux du Rhin, si loin du Poitou et de mes amours! Kowe kondho opo aku ora ngerti! Kulo mboten ngertos! Memble kowe, memble aku!

Et je rêve toute cette nuit, et je rêve toutes ces pluies, une à une, les gouttes s'égrainent ainsi que le fruit funéraire de la grenade, fruit blessé, lumignon rougeâtre, ouvert, éventré tel la cabane de Sikkès. Ces gouttes et ces graines, ce sont des notes, des mélodies, ce sont des mots, tout un poème et toute une poésie, toute une langue, celle de Verlaine, de Baudelaire, de Rimbaud: Ô Nuages! Ô Haricots! Ô courges, palmes et cédrats!

Pluviôse irrité contre la ville entière de son urne à grands flots verse un froid ténébreux, et la mortalité sur les faubourgs brumeux.

La pluie qui vient battre les rues, les toits, les trottoirs, a la voix d'un vieux poète d'autrefois, il erre encore dedans la gouttière et chuchote des larmes, des mots pluvieux, oui, des mots de pluie, des mots mouillés et galeux, des vers d'autrefois, plus vieux que moi encore, tandis qu'il pleut et que le ciel s'étouffe de tout ce gris, de tout ce petit jour famélique. Ô par les chats maigres et galeux qui peuplez les gouttières et mes nuits! Mon âme, que tu sens le chat mouillé, ah! Que de sales parfums! C'est l'imper que je serrais dedans ma sacoche depuis des jours, et des nuits, qui a fermenté, mal séché, et qui pue ainsi qu'un calendo, un port-salut!

Loupiotes fragiles, amers menteurs, visages graciles, femmes aimées, au petit matin vous vous éteigniez, pauvres bougies, une à une! Par tous les phares de tous nos naufrageurs, vous aurez pour port, nefs de bois mouillé, ô fumées, ô  folie, le tendre abri de la mort. Dis-moi, la pluie, dis-moi le temps, dis-moi le mauvais temps, que fais-tu ici, comment as-tu forcé les portes de la nuit, et t'es-tu introduite dedans mes  rêveries, plus chétive que les songes d'une petite fille maigre et craintive, une petite fille pauvre, aux pieds mouillés malgré ses gros souliers troués?

 

Et l'original, que ne vaut pas la copie...

LXXV - Spleen, Charles Baudelaire
Pluviôse, irrité contre la ville entière, De son urne à grands flots verse un froid ténébreux Aux pâles habitants du voisin cimetière Et la mortalité sur les faubourgs brumeux.
Mon chat sur le carreau cherchant une litière Agite sans repos son corps maigre et galeux ; L'âme d'un vieux poète erre dans la gouttière Avec la triste voix d'un fantôme frileux.
Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée Accompagne en fausset la pendule enrhumée Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,
Héritage fatal d'une vieille hydropique, Le beau valet de coeur et la dame de pique Causent sinistrement de leurs amours défunts.
    Charles Baudelaire    LES FLEURS DU MAL, section Spleen et idéal
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  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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