Neurosciences et liberté
En lisant Dehaene
On croit volontiers que les neurosciences sont une nouvelle négation (scientiste et déterministe) de la liberté intellectuelle. Il me semble plutôt qu'elles mettent en lumière une dimension concrète de la liberté intellectuelle.
C'est au fond question de définitions, mais pas seulement. Commençons par le contraire de la liberté intellectuelle. Nous savons grâce aux lumières qu'il s'agit des préjugés et des stéréotypes.
Le destin des connexions neuronales souvent activées est, pour ainsi dire, de se figer, de se solidifier. C'est nécessaire, afin que nous puissions recourir à ces fonctionnements pour bâtir des processus nouveaux, qui intègrent les processus figées comme autant de parties nécessaires et inconscientes. Ce que les pédagogues appellent routinisation.
Néanmoins, le thème complémentaires de ces analyses est celui de la plasticité cérébrale, que Dehane pense (et expérimente) comme combinaisons neuves, associations neuves, essais qui naissent non pas seulement des erreurs et des messages d'erreurs, mais aussi du sommeil et de sa fonction fondamentale: créer la possibilité de fonctionnements et de pensers inédits sur la base de programmes universels, que Dehaene rattache au Mentalais, langage tout matériel et chimique de la pensée, de Fodor.
Il y a encore certains pics de plasticité, comme celui du langage chez le très jeune enfant.
Mais Dehaene remarque que l'adulte conserve presque toute sa vie la plasticité qui correspond à la réflexion, à la pensée proprement dite (le cerveau fonctionne selon un système de strates, des neurones chargés de la sensibilité (des sens) jusqu'à ceux qui se rapportent à la pensée proprement dite.
Il est évident que ce que les philosophes appellent liberté intellectuelle a le rapport le plus étroit avec cette plasticité, et surtout la capacité de mettre en oeuvre de soi et par soi cette plasiticité, bref avec le sommeil!
Bergson a par ailleurs montré que ce serait métaphysique que d'assimiler sans autre procès la pensée et la création avec le fonctionnement des neurones expérimenté par les neurosciences. Mais peu importe ici, quand bien même le cerveau et la pensée seraient le fruit d'un déterminisme complexe, qui met d'ailleurs en échec le déterminisme, comme l'a montré Poincaré, en tout cas le calcul, tout cela serait parfaitement compatible avec l'expérience de la liberté intellectuelle: je suis libre parce que, et dans la mesure où, je me libère d'un fonctionnement donné, pour lui substituer une expérience neuve, y compris sur le plan de la pauvre conscience.