Du tyran et de la dévoration
On le sait, le Tyran, domestique ou non, se prend pour Dieu. Ou pour le père, et c'est la même chose.
Il a tout donné, et par conséquent tout lui est dû. Ses sujets ont le droit de vivre, de respirer, c'est qu'il le veut bien. Il leur a fait don de leur vie biologique, en ne la leur ôtant point. Et bien sûr de leurs biens, matériels ou spirituels!
Pour cette raison, les sujets d'un dictateur doivent se considérer à priori mieux dotés que les étrangers, même si cela est absurde, étant donné les faits économiques par exemple. Les étrangers n'ont pas bénéficié des bienfaits, pour ainsi dire ontologiques, du Tyran, ils sont donc pauvres, voire n'existent pas, ou pas réellement.
J'en arrive au point le plus difficile: le Tyran ne dépouille pas ses sujets parce qu'il est corrompu, ou insatiable, ou méchant. Il le fait parce que c'est son droit, voire son devoir. Il montre ainsi que ses sujets n'existent que par lui, qu'ils sont lui, de simples appendices qui n'existent que par lui et pour lui.
Il leur doit de les dévorer, nous sommes dans le stade oral, et anal bien sûr. Et dans une logique toute religieuse, de l'ordre de la piété filiale.
Le temps se voit alors inversé, ce n'est pas le père qui est pour ainsi dire réfuté par ses enfants, comme le veut la nature et le cours de l'histoire. Ce sont les enfants qui se voient niés et réfutés par le père. Cette avarice toute ontologique est celle du Trou noir... Cela fera du moins un élément féminin, ou anal...
Et bien sûr le fils qui se prend pour le père voudra nier ses soeurs et ses frères, s'affirmer comme unique, A=A, tout absorber en lui.
Beauvoir et Sartre considérai(en)t que poser la femme comme étrangère à toute relation, comme appartenant à la sphère privée (de relation extérieure) était le moteur de la domination masculine.
Mais c'est plutôt l'inverse ici, le Tyran, ou son héritier, se présentent et se pensent comme absolus, hors de toute relation, ils aiment l'argent, dont ils n'ont au sens strict aucun besoin, parce qu'il est sous sa forme avaricieuse la négation de la relation, de l'échange. Il ne circule plus, on le thésaurise en Suisse, à Singapour ou Hong-Kong. Au Luxembourg.
Le Tyran découvre en somme que le monde, la nature même, sont de trop, qu'il doit être bien davantage que maître du monde: maître du néant qu'est l'argent et le pouvoir absolu. Ainsi, il transforme l'homme libre en robot, c'est-à-dire un être non politique, un néant politique.
La Tyrannie se déploie comme la folie, les Anciens l'avaient d'ailleurs bien compris. C'est qu'elle est folie, ou libération de la folie que nous autres réprimons d'habitude, sinon dans le discours de la Religion peut-être.