la matière de la conscience
A la question proprement métaphysique - en ce sens qu'il ne s'agit ni de psychologie, ni d'anthropologie, ni de philosophie du langage - "que sommes-nous?" (et non pas "qui sommes-nous?") j'apporte une réponse malgré tout guidée par la question. Le "quoi" appelle la matière, et la matière appelle la forme.
De quoi sommes-nous faits, de quelle étoffe? Wilhelm von Humboldt avait su discerner sous la forme de la langue deux matières, à savoir le son encore non articulé qui sort du pharynx, et l'ensemble incohérent de nos états de consciences et de nos intentions premières encore inorganiques et non canalisés. Cette notion de matière de la langue sera on le sait reprise par Saussure, Hjemslev et enfin Greimas (la matière brute de la sémiotique, du sens). Mais par là même, elle sera pour ainsi dire transformée en un fantôme abstrait, mathématico-logique, malgré les efforts un peu vains de Greimas pour corriger cet état de choses (y compris en faisant appel à l'Un de Plotin, retrouvant peut-être sans le savoir la tentation de Humboldt en personne) .
Je suis donc fait de matière de la conscience, à savoir d'une entité susceptible de donner naissance à la multiplicité relative des états de consciences. Celle que Lucrèce avait refusé de nommer après l'avoir identifiée, si l'on peut dire.
Mais cette matière perdure-t-elle dans le temps? Ou bien se renouvelle-t-elle au cours de mon existence? Et d'où vient-elle? Je veux dire quelle est sa nature, par exemple physico-chimique? Est-elle dynamique et passionnelle, comme le voulait Humboldt, Freud et dans une certaine mesure Greimas, ou bien statique, à l'image de la feuille de papier de Saussure?
Je n'en sais fichtre rien.
Encore faut-il qu'il y ait information et aussi canalisation de cette matière de la conscience. C'est le rôle du cerveau, semble-t-il.
La permanence du moi est-elle une illusion? A chaque instant, une autre matière de ce moi vient-elle remplacer la matière antérieure? Poser la question, c'est supposer que la matière en soi perdure, elle, comme cette pierre. Mais nous ne savons guère ce que veut dire demeurer pour une particule quantique. C'est la question du temps.
Kant voulait nous interdire de telles questions métaphysiques, évidemment parce qu'il supposait que l'expérience ne pouvait en rien y répondre. Cela ne semble pas justifié. Mais alors en quoi ces questions sont-elles vraiment métaphysiques?
Parce qu'elles touchent à la nature en soi, serait-elle physique, de nous-mêmes, derrière les apparences et les mots.