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écrits du sous-sol 地階から
15 juin 2019

Logique: syntaxe, sémantique, et ontologie du hasard

J'appelle métalogique une théorie de la pluralité des logiques, soit au point de vue du contenu sémantique, soit au point de vue syntaxique.

Commençons par le second point de vue, celui de la syntaxe, avec Lesniewski et Rickey.

I

DU COTE DE LA SYNTAXE

C'est parce que la logique est une pure forme qu'elle permet d'exprimer et de développer tout contenu cohérent, qu'il soit en accord avec notre monde ou bien qu'il lui soit étranger. Néanmoins, remarquons-le déjà, cette évidence fondatrice a été pour le moins malmenée par Gödel. Certes je puis exprimer de manière logique, c'est-à-dire correcte au point de vue syntaxique, la formule suivante:

Soit l'énoncé p: " pour tout axiome de la théorie, a1, pour tout axiome de la théorie, a2, ..., an,

a1*a2*...*an ne peut démontrer p"

Mais bien sûr, je ne puis déduire p des axiomes de la théorie, il est donc d'une certaine manière irréductible à la syntaxe de cette théorie, et a par conséquent une très forte dimension sémantique.

L'on a souligné parfois d'autres bizarreries, ou insuffisances, de la forme logique, en particulier que le quantificateur existentiel présuppose bien sûr, contrairement au quantificateur universel, une existence. Tout père noël est barbu, mais il n'y a peut-être aucun père noël. Aucun problème.

En revanche, la symétrie est rompu si je dis : "il y a un père noël qui n'est pas barbu, et il n'y a (peut-être) aucun père noël". C'est ici proprement contradictoire, et par là même cela tend à donner un contenu en général au monde. Le quantificateur existentiel semble supposer qu'il y a quelque chose en général.

Tout ce qui est est, et il n'y a rien. Aucun problème (!)

Il y a certain x et il n'y a rien.

Posons x, qui par ailleurs n'existe pas.

Il suffirait peut-être de poser un nouveau quantificateur qui nous permette de poser certains prédicats tout en niant le sujet. Dans l'histoire du pays X il y a un certain x qui est une licorne, et le pays X n'existe pas, pas plus que x par conséquent. Disons: "bémol x"

Lesniewski, à lire Denis Mieville, a exprimé cela en réduisant l'objet de la logique à une simple marque, une simple inscription, bref un mot sans corrélat nécessaire dans l'existence. Il existe x veut dire simplement qu'on pose une telle marque, rien de plus. Nous serions en logique pure dans la grammatologie pure. Mais n'est-ce pas supposer au moins l'existence de ces marques, et du langage en général? Ce qui n'est pas rien. Bien sûr, il est évident que le signe tracé sur la feuille de papier existe bien. Cependant que veut dire l'identité de ce signe ligne n avec le signe semblable ligne n+1? Rien du tout, selon Mieville, ce n'est qu'un jeu réglé. 

Ceci dit, il n'y a pas trop lieu d'être surpris (et Humboldt ne le serait pas!) si une forme définie, supposée universelle, contraint en somme la réalité dont on parle, ou du moins la parole qui dit cette réalité. Ou du moins cette parole pure, ou cette écriture pure, sans aucun corrélat physique ni métaphysique. Ce jeu contraint ne saurait cependant être dit universel, contrairement à la théorie de tous les jeux, du moins de tous les jeux de cette nature. Déjà, quand je dis que x est ou bien a ou bien non a, je suppose que x ne devient pas a ou non a en cours de route. Or s'il y a des exceptions, il n'y a pas de forme universelle. 

L'on ne peut se satisfaire de cette écriture pure, cependant, dans la mesure où elle intègre toujours une sorte de spectre de contenu, à savoir une certaine particularité, un pseudo-contenu sémantique en somme (qui reflète quelque point de départ empirique ou psychologique). Il faut au contraire parvenir à disjoindre totalement syntaxe et sémantique, bref parvenir à une syntaxe réellement universelle, et par conséquent pure, ce que veut produire Lesniewski. S'il veut le produire, c'est que ce n'est pas donné, que la logique naturelle est confuse, du moins selon lui, et selon Mieville. Disons qu'elle est un mixte de syntaxe et de sémantique, et Quine s'en satisfait au contraire très bien comme on le sait. Ici le purisme logique de Lesniewski s'oppose au holisme épistémologique de Quine. La logique naturelle n'est pas confuse, mais elle n'est nullement pure de toute considération ontologique, certes indirecte, un simple présupposé, comme celui de l'existence d'objets distincts, déterminés. Ce que nous rattachons à la critique du purisme de Kant et de Wittgenstein par Quine.

Rapprochons- nous cependant des thèses de Mieville, telles que je les comprends. Si je confonds la logique naturelle avec une syntaxe universelle, qui épuise le champ du logique en général, à chaque fois que j'aurai du mal à traduire dans la logique standard un certain raisonnement, je devrai conclure que ce raisonnement n'est pas un raisonnement, mais une intuition, un contenu, et que je suis dans l'ordre, ou l'orbe, de l'empirie, de la psychologie, voire de la foi. Ce que ne manquent pas de faire certains philosophes, ou même certains logiciens chrétiens. D'où la mystique wittgensteinienne.

En géométrie du moins, nous savons bien qu'il y a plusieurs géométries possibles, qu'aucune n'est neutre, même si la géométrie euclidienne est plate, ce qui est tout autre chose. Mais il existe (!) bien sûr une théorie de l'axiomatique en général qui généralise la géométrie, et est ontologiquement neutre en ce sens qu'elle rend possible et dicible toute géométrie particulière. Cette théorie est précisément la logique, avec ses développements dus à Gödel en particulier. Ces développements, nous le verrons en III, semblent justement susceptibles d'une interprétation non seulement mathématique mais également physique (en rapport avec un contenu sémantique, ici le hasard).

C'est, me semble-t-il, ce même travail d'axiomatisation qu'a voulu faire Lesniewski, mais d'une autre manière, pour sa métalogique. En tout cas c'est ce qu'il a fait selon moi. Il reviendra à Rickey d'axiomatiser ce travail, conformément à la nature même de ce travail.

Paradoxalement, cette métalogique aussi peu intuitive que possible permet de retrouver la richesse intuitive des langues naturelles. C'était déjà ce dont avait conscience Leibniz, que l'on a accusé - en particulier, à tort, les humboldtiens comme moi - d'être indifférent aux langues naturelles.

On prouve par là même la limitation arbitraire des logiques classiques, ou particulières. Elles ne sont universelles qu'en apparence, et par conséquent le formalisme ne se confond pas avec l'universalité. En tout cas pas "ce" formalisme. 

II

DU COTE DE LA SEMANTIQUE

Evoquons maintenant la solution mieux connue de Kripke,de nature sémantique au contraire, je veux dire l'introduction de mondes possibles aux contenus divers, la logique formelle demeurant au fond inchangée dans sa syntaxe malgré l'introduction d'énoncés de nature probabilitaire et de relations entre ces mondes possibles, disons des relations de dérivations (d'accessibilité, réflexives, transitives, mais non symétriques). Cette solution a l'avantage d'assumer les paradoxes gödeliens, mais pour les dépasser en recourant à la sémantique, selon la pente indiquée par Gödel, à savoir une certaine insuffisance de la syntaxe.

Chaque monde possible W se définit par un ensemble d'énoncés. Dans chacun de ces mondes W, il y a, indépendamment de la syntaxe logique universelle, une sémantique, à savoir d'abord que certains de ces énoncés sont posés comme vrais, de valeur 1 et certains autres comme faux, de valeur 0. Par là même, tout énoncé irréductible à ces axiomes, indécidable, à une valeur distincte de la vérité et de la fausseté, comprise par conséquent entre 0 et 1, strictement supérieure à 0 et strictement inférieure à 1. Mais un autre monde possible W', défini à partir de W, contiendra certes ces mêmes axiomes, mais il donnera une valeur définie, 0 ou 1, au contenu encore indéfini dans W. On peut penser à l'avenir, qui actualise ou non certaines possibilités du présent (la guerre de Troie aura-t-elle lieu? Eh bien oui, elle a eu lieu).

On le voit, dans un monde possible W, du fait de l'existence d'une sémantique et aussi de l'introduction de valeurs probabilitaires, des propositions rejetées en logique classique parce qu'elles ne sont pas prouvées (sans être pour autant démontrées fausses), peuvent devenir vraies, ou bien fausses, ou bien se voir conférer une valeur de probabilité, à partir de laquelle on peut construire un monde possible w' dérivé du précédent. 

La logique, indifférente en tant que telle au caractère scientifique, ou au contraire doxique, d'un monde possible ne l'est cependant pas à sa structure. Et certes, la logique ne me dit pas comment je puis modifier ces croyances incohérentes. Et certes, un monde physiquement faux peut être tout à fait cohérent. On peut croire ce que l'on veut, construire le monde possible que l'on veut, pour autant qu'on respecte les règles de la logique. Mais bien sûr la syntaxe est profondément changée, même si elle demeure formellement à peu près la même, du simple fait de l'introduction, à côté du vrai et du faux, du vrai dans un monde donné et même de la probabilité dans un monde donné.

III

DU COTE DU DESORDRE 

Nous revenons ici sur le rapport étroit entre la probabilité et l'indécidabilité de Gödel, dans une perspective proprement sémantique, celle des mathématiques mais aussi de la physique et des sciences de l'information.

Bergson niait l'existence du désordre, le désordre n'est qu'un ordre que je ne connais pas, qui ne correspond pas à l'ordre que je me croyais en droit d'attendre.

Ainsi pour le francophone un texte turc semble désordonné, et réciproquement.

Mais le même Bergson connaissait et admettait la thermodynamique et le principe de l'entropie, du désordre toujours croissant.

Je rappellerai encore une fois que le physicien Gell-Mann avait résolu ce problème, à la suite de ses lectures d'autres travaux que les siens, en remarquant que l'information était quantifiée selon la même formule que l'entropie, le désordre si l'on préfère, ou encore un ordre aléatoire.

Ainsi quand je connais ce désordre, il devient pour moi de l'ordre, grâce à cette information. Seulement cette information correspond à la même forme algébrique que le désordre qui a disparu comme par magie. Il n'a pas disparu, le désordre s'est converti en information et je fais moi-même partie d'un système plus vaste qui m'englobe, moi et le système objectif, ou objectivé, je veux dire l'ensemble physique, ou autre, désordonné.

On peut penser au nombre pi, dont les décimales semblent bien se suivre dans le plus grand désordre, sur un mode aléatoire.

J'en viens donc aux mathématiques. Il y a un lien étroit entre l'indécidabilité de Gödel et l'ignorance par la théorie et ses axiomes du degré d'aléatoire des séries numériques. Ce qui le prouve, c'est qu'une proposition indécidable cesse de l'être si nous posons en axiome (conformément à ce que veut Kripke pour un monde donné W) l'information qui nous manque, à savoir ce degré d'aléatoire.

Ainsi tout formalisme mathématique (et toute syntaxe a fortiori) est gravement aveugle au hasard, comme l'a remarqué Chaitin, mais peut être complété, certes arbitrairement.

Au passage, l'on voit ici que le désordre entropique (le degré aléatoire croissant d'un système physique clos) n'est pas subjectif. Plus une série est aléatoire, plus le programme pour l'exprimer sera long, plus il me faudra, en d'autres termes, d'informations pour la reproduire. On parle de complexité de Kolmogorov (les programmes informatiques sont de nos jours intégrés dans la théorie mathématique).

L'entropie, et c'est ma seconde conclusion, s'oppose par conséquent (en tant que désordre assimilé au hasard) au formalisme en général. Il est pourtant possible, comme le montre après tout l'histoire de la physique, et des mathématiques, de rapprocher les calculs, toujours formels bien sûr par définition mais pas pour autant dénués d'engagement ontologique, du réel.

On retrouve d'une certaine manière, peut-être inversée, la question de l'existence. Pourquoi y a-t-il quelque chose, et pas seulement les lois vides de la raison, ou du calcul? Ici, la raison achoppe, ou semble achopper, sur le néant, en tout cas le gain entropique, qui est une perte d'ordre, le désordre, ce qui est à peine un être au sens classique.

Toujours est-il que nous avons appris à domestiquer en quelque sorte le désordre, en ce sens que nous savons l'introduire dans nos calculs. Nous sommes capables de penser très précisément le désordre, il n'est pas seulement une limite infranchissable pour la "raison", comme on dit.

"Nous", pas moi bien sûr, mais des mathématiciens comme Laurent Bienvenu. 

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Commentaires
R
Triste présage que cette polyphonie du langage qui se perd dans ses méandres. J'ose espérer qu'au travers vos écrits, vous avez reçu la récompense idoine et si possible académique. Ne prenez pas ombrage de l'inquiétude qui est probablement celle d'un ami.
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écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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