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écrits du sous-sol 地階から
13 septembre 2019

L'histoire de l'homme qui vit un vrai dragon. D'après Kinoshita Junji

Kinoshita Junji  (木下 順二, )  né le 2 août 1914, décédé le 30 octobre 2006, traducteur de Shakespeare, était un grand dramaturge de l'après-guerre. Grand voyageur, il s'intéressait aussi aux contes populaires du Japon.

 

Un beau matin, au réveil, une fillette sortit de sa maison et zou ! s'en alla tout droit vers la montagne. Elle avançait sans jamais hésiter, sans jamais chercher son chemin. Son papa, Hyakushoo, un pauvre villageois, fut bien étonné, et il la suivit. On aurait dit qu'elle avait toute sa vie parcouru cette route, grimpé cette côte, traversé ce bois d'arbres à laque, et pourtant elle n'y avait jamais mis les pieds, c'était certain.

Le paysan entendit parler, il regarda du côté d'où venait la voix, mais c'était seulement deux hommes, deux étrangers juchés dans les branches des arbres à laque.

«Ah, vous êtes des cueilleurs de laque? C'est la saison, alors, voilà,  on vient nous voler! Ni vu, ni connu, vous mettez en perce l'un après l'autre les arbres de ce bois, à la fin, il sont tous crevés, et nous au village, tout cet argent, pfuiit! il file sous notre nez, et on devrait être content, encore!"

Les deux étrangers, surpris, prirent la fuite, ça c'était plutôt bien, mais le problème c'est que pendant ce temps il avait perdu de vue la fillette!

Le villageois ramassa une branche pour s'en faire un bâton et il continua bravement de grimper dans la direction que la fillette avait prise. Il arriva ainsi au sommet de la montagne, il y avait là un marais, mais aucune trace de sa fillette, et bien entendu tous les arbres étaient entaillés, ah cette marque fatale...

Un instant distrait par ce spectacle, il pensa bientôt de nouveau à la fillette: ah ça, un monstre avait-il, comme dans un conte, dévoré la petite? Rien, aucune trace d'elle! Il fit quelques pas pour redescendre au village, il hésitait, il désespérait, il rebroussa chemin en direction du sommet. Mais voilà sa fille qui redescendait, fraîche comme une fleur!

- Ca alors, mais où etais-tu passée?

- Dedans le marais!

- Hein?

- Et là-bas c'est plein de laque!

- C'est quoi cette histoire de fous? Et puis, comment faisais-tu, tu avançais comme ça, tac, tac, tac, tu connaissais donc le chemin?

-C'est le dragon qui  m'a parlé! Et il faut en parler à tout le monde! Il me l'a dit, il me l'a dit!

- Tu délires? Parler de quoi? Et qui c'est, ça, tout le monde?

- Les gens du village bien sûr! Le dragon, celui qui dans le rêve m'a montré la route, exactement comme dans la réalité! Eh bien, il a dit: tu feras circuler la nouvelle, il faut que tous les villageois soient au courant!

- Quoi? Il a dit ça?

- En fait, il m'a soufflé à l'oreille, de sa voix grave et bonne:

«Va et raconte tout aux autres!» 

- Bon, bon. Mais conduis-moi d'abord jusqu'à ce trésor. Pour le reste on verra après...

Arrivé au marais, il comprit. Aucun doute, au cours des ans, peut-être des siècles, le précieux latex s'était accumulé là, goutte après goutte. En un mot comme en cent, il était riche! Car bien sûr il fallait, selon la bonne tradition, garder cette fortune pour soi tout seul!

 Mais il fallait trouver un truc pour que la gamine se taise, et cela malgré l'histoire idiote du dragon. C'est un problème, les enfants...

Cela lui prit du temps, mais à la fin il trouva. Après avoir mis sous clef sa fille - on n'est jamais trop prudent - il se rendit  la nuit suivante dans la montagne et exécuta un mystérieux travail, Au matin il prit la gamine par la main. 

«On va dans la montagne, tu vas voir le dragon pour de vrai».

Et en effet la fillette, toute émue, aperçut le monstre flottant sur les eaux, comme dans son rêve. Son père la saisit à bras le corps et...

«Va et raconte rien du tout aux autres!» lui souffla le dragon dans l'oreille, de sa voix grave et bonne.

Une fois la fillette à nouveau sous clef, Hyakushoo mit un pagne, prit une cuvette et revint au marais. Le dragon était là, mais il ne lui faisait pas peur, car il était fabriqué avec de vieux paniers de bambou rouge. Il se mit à ramasser la laque. Mais il y eut comme un souffle chaud, il tomba dans l'eau et vit surgir du fond de l'eau la gueule rouge du dragon. Du vrai dragon!

En hurlant le villageois descendit plus vite qu'il n'avait jamais couru de sa vie. Il traversa le village en criant qu'il y avait un vrai dragon dans la montagne, et tout tremblant alla se réfugier chez lui, dans son futon.

Les villageois partirent courageusement à la chasse au dragon, mais il ne trouvèrent que le dragon que le père de la fillette avait fabriqué en bambous... et aussi le trésor que le dragon gardait pour eux, le marais plein de laque!

Que s'était-il donc passé? Ils finirent par comprendre. Il y avait eu une bourrasque et le faux dragon avait été emporté par une vague, il avait coulé, puis était remonté. Le père de la fillette, dans l'obscurité, avait pris le vent pour le souffle du dragon et avait vu l'animal, son oeuvre,  émerger vers lui, la gueule en avant...

En tout cas, grâce à la fillette, au dragon du rêve et au trésor du marais, le village ne connut plus jamais que bonheur et prospérité!

Kinoshita a oublié, il est vrai, de nous dire ce qu'en pensa au juste le villageois, Hyakushoo! 

 

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  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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