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écrits du sous-sol 地階から
25 mai 2018

du temps qui passe

 

Le temps passe, en nous et en dehors de nous, c'est dire semble-t-il que chaque moment vécu est un pas, mais un pas très particulier, on ne se contente pas d'avancer, il y a comme une queue de la comète, c'est le passé vécu, passé, pas-sé. Supposons que la jambe gauche c'est le passé, j'assure ma prise avec la jambe droite, je conquiers l'avenir, pendant ce temps ma jambe gauche demeure et s'oublie, elle s'éteint, elle est dé-passée puis devient une autre jambe gauche! Ou bien alors, le passé demeure, donc ma jambe gauche, mais le contenu de ce passé change, j'avance? Cela ressemblerait plutôt à une reptation qu'à un pas! 

En effet, en réalité, ma jambe gauche repart en avant, et c'est la droite qui sert maintenant de point d'appui, qui garde mes arrières, le fond de ma conquête de l'à venir. Le temps n'est donc pas en soi scandé comme la marche, s'il a un en soi.

C'est un écoulement, un flux. Le pas,et la marche, ne seraient ainsi qu'une exemplification d'une essence plus générale. Un exemple, et aussi une image. La jambe droite, dans cette image, c'est l'intention, le pour-l'avenir de l'action humaine, la jambe gauche étant le fond de cette action, la conscience plus atmosphérique du temps comme avant tout passé, ce qui fonde le présent et l'avenir de l'intention. Pour l'homme d'action, l'on va vers l'avenir, pour le contemplatif, l'avenir vient à nous, ou plutôt vient compléter la phrase à moitié dite seulement, ou la mélodie à demi formulée.

Je rampe le long du temps, ou bien suis rampé par le temps, dans les deux cas le temps ne se confond pas avec la reptation elle-même, avec mon vécu en tant que conscience scindée du monde, Ego pur et plein de psychologie, de sentir. Le temps est une dimension de l'Etre, non seulement de l'Ego. Pourtant, le passé n'est plus, alors qu'une route ne passe que subjectivement, et pas dans le même sens pour tous.

Ce que je dis là ne vaut que pour la rétention du passé immédiat, pas pour le passé de la mémoire. Ainsi l'animal peut-être, la personne rêveuse et détachée, vivent le moment pur, et pourtant ce moment dure, intègre un passé auquel l'animal en tout cas n'accorde, ne peut accorder, que peu d'attention, fasciné qu'il est par l'objet convoité ou l'agresseur craint.

Je crois qu'en réalité se produit sur le plan psychologique un recouvrement de ces deux jambes gauches, celle qui demeure la même(la forme,ou plutôt le moment d'une forme, comparable peut-être au fleuve d'Héraclite ou au jet d'eau de Proust)  et celle qui change (le contenu), un recouvrement et donc une confusion naturelle. Mais de lui-même le temps en passant sépare ces deux dimensions du temps, la forme et le contenu, ce que Hegel avait remarqué, en écrivant par exemple "maintenant il fait nuit": le maintenant demeure, mais pas la nuit.

 A première vue ce pas s'étire du présent vers l'avenir, puis ce présent, devenu passé immédiat,  passé-présent, s'éteint, un autre se substitue mystérieusement à lui, ou plutôt l'à venir, le nouveau présent, passe à son tour. Ca y est, il est passé, et puis éteint, dé-passé.

Le présent se dédouble lui aussi, mais d'une autre manière que le passé, et aussi de la même manière, bien sûr: je me contente ici de développer cette autre manière:

Le présent est un moment de lui-même et en même temps l'unité fluante du passé, du présent et de l'avenir, si bien que le présent pur n'existe pas, que le passé n'existe plus, ou du moins plus guère, et l'avenir pas encore. Tous existent mais dans le présent complexe, la triade du temps rétention-perception- protension. 

En dehors de nous maintenant, les choses arrivent, les événements plutôt, et donc adviennent à nous depuis l'avenir, comme réservoir de possibles qui s'actualisent ou non. Mais il y a aussi l'idée, ou l'opinion, que cet avenir est écrit, qu'il nous est envoyé, par exemple par l'Etre ou par Dieu.

Le temps est vécu en tout cas comme possibilité pure, nous sommes pour l'avenir, c'est-à-dire pour plusieurs avenirs, mais un seul advient, et certes le déterministe pense qu'il ne pouvait en être autrement, que l'avenir est donc déjà déterminé au coeur de la triade vécue. On peut encore distinguer, ou essayer de le faire, la forme de cette triade, qui ne passe pas, du moins tant que nous vivons, et le contenu, coloré, divers, qualitatif. Pourtant, le temps passe plus ou moins vite, si bien que sur le plan psychologique l'existence même d'une forme immuable du temps est discutable. Un précipice se creuse et s'étire parfois au sein de la même seconde.

Le temps est d'abord intériorité, durée, poussée en moi de quelque chose qui n'est pas moi à proprement parler, le vécu. Je pense, j'analyse, comme en deça de ce vécu, il en est un peu, ou beaucoup, comme de la sensation, du spectacle du monde extérieur, d'où peut-être l'assimilation kantienne des deux formes que sont le temps et l'espace, et encore la position d'un sujet transcendantal hors du temps. Pourtant l'analyse se fait elle-même dans le temps, par exemple le temps du langage, le loquor.

Pour la personne trop attentive à sa propre durée, les autres n'existent pas, ou guère. Le musicien. On dit qu'ils sont lunaires. Les historiens d'autrefois avaient tendance à penser l'histoire d'une nation comme une telle poussée, une telle durée solipsiste, mais collective.

Le présent de la narration est-il comme le dit Séverine Abiker le temps de la durée qualitative, des choses qui adviennent, bref le temps de l'advenir des choses, du processus? Bref, le présent est-il l'expression de la durée bergsonienne, mais libérée de la mémoire d'un passé plus lointain? 

Je cite (il s'agit d'un article sur les albums pour les enfants!) :

Comme l’a soutenu Sylvie Mellet dans une série d’articles consacrés à cette question, le présent se distingue des autres temps de l’indicatif parce qu’il donne à saisir un procès qui s’actualise progressivement. Ce procès est envisagé strictement à chaque instant de son passage du virtuel au réel.

On retrouve ici la triade phénoménologique, mais inversée, puisque le temps semble couler du virtuel, l'avenir, vers le réel, la présentification. De plus, et c'est cohérent avec son propos, Séverine Abiker fait abstraction du passé, ou bien il fait partie du réel, si bien que c'est le présent pur, infiniment court, l'instant qui disparaît.

Mais Séverine Abiker, plus loin, isole pour ainsi dire le moment présent de la chronologie, on pense alors à la philosophie antique, au "cueille le jour", que t'importe le passé et l'avenir, vis ce qui est, le présent. Et certes ce présent pur n'est pas l'instant infiniment bref des physiciens. Le présent ferait donc abstraction, non de la durée, mais de la mémoire chronologique, distincte de la rétention des phénoménologues.

Il est vrai qu'au présent le futur n'est pas encore donné, mais advient. Il existe pourtant l'imparfait, temps du passé et en même temps contemporain du processus, ce serait alors un passé-présent comme il y a un passé antérieur? Un passé contemporain en somme.

Pensons également à l'imperfectif russe, ou encore à l'un des deux aspects de l'hébreu et de l'arabe, l'inaccompli, qui s'oppose comme un indéfini à l'accompli. On le traduit souvent par le futur. Le futur est généralement un inaccompli, pourtant  il y a en russe un futur perfectif, et il a paradoxalement l'aspect d'un présent!

Il y a dans la narration, même quand domine le présent, d'autres aspects que la durée bergsonienne, que la durée pure. Enumérer comme en indonésien une série de présents ne donne pas l'aspect homogène de la durée de Bergson, son fameux écoulement, ou flux, mais produit une série de flash, comme une énumération: pertama saya datang, lalu saya lihat, akhirnya saya pergi: je viens, puis je vois, finalement je pars. Est-ce vraiment un présent, ou bien plutôt une forme absolue, réduite au radical, comme un infinitif ou un participe?  Toujours est-il qu'on ne sait pas s'il faut traduire au présent, d'abord j'arrive, ensuite je vois, ou bien au passé, je suis arrivé et puis j'ai vu, etc...

En grec ancien, à l'origine du moins, l'aoriste ne dénotait aucune valeur temporelle mais représentait l'action sans référence à la durée ni à la chronologie.

Rien ne permet vraiment d'assimiler sans autre procès le temps physique et le temps vécu, la durée, mais on peut bien sûr supposer qu'il existe entre les deux un rapport indéterminé, que le temps physique est par exemple irréversible, inséparable des processus qu'il "contient". La relativité vécue n'a en tout état de cause rien à voir avec la relativité einsteinienne.

 

Les paradoxes kantiens: Kant en somme assimile le passé à la synthèse opérée en partie passivement par le sujet, en partie activement dans la mesure où il veut toujours remonter vers un passé plus lointain, d'où l'infinité du temps. Cela revient semble-t-il à identifier la forme de l'avenir et celle du passé, il n'y a pas plus de premier moment que de dernier moment. Mais bien sûr seule l'absence d'un premier moment pose un problème physique, comment le temps infini a-t-il pu arriver jusqu'à maintenant? La réponse est que le temps n'est pas en soi, que les choses ne se sont pas déroulées ainsi "en soi", que le temps est sinon projeté du moins la forme de la projection.

Le premier moment: le premier état de conscience est un mystère, qu'était alors la triade temporelle, je veux dire le passé? De même pour le dernier moment de la vie, qui paraît certes moins énigmatique, on attend et l'avenir n'advient pas, car il n'y a plus de durée pour nous, et plus de nous, d'ego plutôt.

Quand je me réveille, je n'ai d'abord pas de passé, sinon parfois le souvenir vague de ce que je rêvais, une posture comme une mauvaise position, une position fausse, de mon corps. Je suis étonné d'être là, comme si cela se faisait sur le mode de la spontanéité, de l'instantanéité. Je cherche à retrouver ce qu'il y avait avant, un rêve fuyant, ma vie passée et ses préoccupations, le néant. Où suis-je, quand suis-je et aussi "qui suis-je?". Locke: je suis ma mémoire et le fil de ma mémoire.  

Je meurs, cela ne me limite pas, car la mort est mon anéantissement, il n'y a plus rien à limiter. Il n'en est pas comme de la limite spatiale, qui ne fait pas disparaître le contenu limité, par exemple un disque délimité par le cercle, ainsi qu'on l'apprend à l'école. Elle le met en valeur, en fait une forme qui se détache sur un fond contingent, ou supposé tel.     

 

 

 

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F
Comme c'est beau! Et comme c'est triste, au fond...
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écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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