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écrits du sous-sol 地階から
23 décembre 2021

Quelle éthique pour l'enseignant?

 

Ethique de l’enseignant

 

 Les choses peuvent sembler simples, enseigner n'est pas endoctriner, éduquer ne consiste pas à exercer une emprise sur les enfants dans la perspective de notre pouvoir, ou encore d'une satisfaction narcissique. Reste à savoir avec Olivier Reboul où passe la frontière entre l'enseignement et l'endoctrinement, l'éducation et le dressage, et c'est là que l'éthique retrouve ses droits: scrupules de l'enseignant, voire du ministre! 

Qui dit éthique dit bien sûr responsabilité : je réponds des élèves, de leurs progrès, dans une certaine mesure de leurs actes. Je réponds tout autant de moi-même, de mon attitude (voire de mon apparence, en tout cas de ma dignité, qui renvoie davantage à la respectabilité sociale qu'à la morale), de mes actes, de mon travail, dans une certaine mesure des résultats des élèves, progrès, même si on parlera d'une obligation de moyens et non de résultats. 

Cette responsabilité ne se confond pas avec celle des parents. Les élèves sont des enfants, mais ce ne sont pas pour autant mes enfants. Il s'agit donc ici de l'existence publique des élèves, les savoirs, la Cité, pas leur existence privée en tant que telle, leurs croyances. Il s'agit donc de préparer les enfants à entrer dans une Cité démocratique, où l'on ne confond pas le vrai et le faux, le bien et le mal, où Raison et vérité jouent un rôle moteur (en particulier dans le débat), mais où l'on reconnaît aux autres le droit d'avoir d'autres opinions et croyances que la majorité, ou que soi-même. La tolérance ne constitue donc pas une opinion particulière, relativiste, mais la condition formelle du débat démocratique.

Il est difficile de ne pas évoquer aussi la bienveillance. Je travaille pour les élèves, leurs progrès, leur épanouissement, je ne suis donc pas malveillant, ni indifférent, je ne me venge pas sur eux… Enfin, l'on assimile, ou assimilait, l'éthique de l'enseignant avec ses attitudes, l'exemple qu'il doit donner, ce qu'on appelle l'exemplarité.

On peut avec Bertrand Russell assimiler la bienveillance, au fait qu'on apprécie les jeunes, ou du moins qu'on les supporte aussi bien que possible! Et certes, cela n'est pas en soi encore éthique!

Qu'est-ce que d'éthique de l'enseignant ? Il s'agit de la conscience professionnelle de l'enseignant: nous sommes responsables des enfants, mais aussi responsables de l'Ecole, de ce qu'elle est, ou de ce qu'elle est devenue.  

Il doit y avoir une certaine correspondance, harmonie, congruence dirait K. Rogers, entre l'éthique de l’enseignant et la morale de l'écolier. Exemplarité. L'Ecole suppose en effet aussitôt une certaine Idée de l’être humain, c'est ce qui fait, ou faisait, sa force.  L''exemplarité, et tout autant la bienveillance.

 Ethique de l'enseignant, c'est-à-dire Conscience professionnelle de l'enseignant: nous sommes responsables des enfants, et responsables de l'Ecole, de ce qu'elle est, ou de ce qu'elle est devenue. Mais alors,  devant qui sommes-nous responsables? Qui gardera les gardiens? Le ministre, L'inspecteur ? Le principal ou le proviseur ? Les parents, voire les élèves eux-mêmes ?

Avant tout, devant nous-mêmes. Pouvoir comme on dit se regarder encore dans la glace... Honneur professionnel, notion qui semble vieillote, mais qu'on peut appeler autrement, par exemple engagement, sérieux, de l'enseignant.

On remarquera cependant que la notion d'honneur renvoie davantage au regard d'autrui, à la respectabilité sociale, qu'à la morale proprement dite, morale du devoir et de la faute (cf. Ruth Bénédict, Le chrysanthème et le sabre). Certains grands éducateurs, comme Socrate, n'avaient que faire de cette respectabilité, liée à un supposé rang social. Nous ne sommes pas dans la situation de Socrate, même si nous enseignons la philosophie. Plus sérieusement, l'éducation suppose une relation intersubjective, inséparable du regard d'autrui, en tout cas de l'appel que nous lançons à l'enfant. L'on fera le lien entre ce souci de notre respectabilité et le tact à l'égard de l'élève, comme au fond Prairat dans son petit livre sur le tact. Bien entendu, l'enseignant n'est pas seulement dans le paraître et le prestige rhétorique du verbe. Il agit, voire réagit, mais doit donner à ses réactions le visage de l'action. C'est une question d'autorité avant d'être une question de morale.  

  

A. Responsable de l’enfant, ou de l’élève ?

 

Du fait sans doute de l'influence de l'éthique du CARE, on a tendance à réduire cette éthique au seul respect de l'enfant, de sa vulnérabilité, respect assimilé à la bienveillance. Mais il y a aussi le respect de l'élève, et c'est autre chose, de l'ordre, on le sait de l'exigence. Hegel: l'enfant joue, l'élève est responsable.

L'on oppose exigence et bienveillance. On ne devrait jamais le faire. Mais je vais quand même le faire, en tout cas distinguer respect de l'enfant et respect de l'élève, qu'il s'agit d'élever.

Parlons donc d'abord du respect de l'enfant, qui a rapport avec ce que l'on nomme d'après Rousseau l'éducation négative, les limites que doit s'imposer l'éducateur. Primum,  non nocere!

Sans doute que le mot respect est bien vague, et qu'il faudrait plutôt parler de sollicitude. Mais les textes officiels, comme l'actuel programme d'EMC, parlent bien de "respect", comme d'ailleurs la morale kantienne. 

Le respect de l'enfant renvoie donc à certaines limites, garde-fous; et d'abord la sécurité de l'enfant, y compris psychologique. Education négative. S'abstenir, en tout cas ne pas aller trop vite, ne pas forcer, laisser mûrir, grandir. Et surtout ne pas propagandiser, comme disait Péguy, ne pas endoctriner sous prétexte d'éduquer, ou de moraliser.

 

La maxime de l'éducateur, de ce point de vue, pourrait être la suivante: "Après tout, ce n'est qu'un enfant!"

L'enfant "surdoué" est d'abord un enfant, ne l'oublions pas.

Le contre-exemple: l'école de la compétition et du forcing adaptatif. On force la temporalité de l'enfance, on fait pousser trop vite.

Au fond, même si on ne le dit pas, on voudrait se passer de l'enfance... Des mondes où l'enfance n'a plus de place, ni de temps propre. La mine, l'usine et l'usine école. On ne fait pas mûrir les jeunes comme on fait pousser plus vite le maïs... L'image, peut-être fausse, outrancière, de l'école sud-coréenne...

Ne pas en faire un singe savant, ne pas le mettre en danger, ne pas le "stresser", ne pas le rendre conformiste (son authenticité, sa personnalité qui quoi qu'on en dise ne se réduit pas à la seule éducation-socialisation). L'acharnement pédagogique. Ne pas non plus propagandiser (Condorcet, Péguy).

 

Le respect de l'élève à présent.

C'est ce qui motive notre action éducative, l'éducation non plus comme abstention, mais positive. Le dernier mot de ce respect, et le premier: l'élève est capable.

C'est souvent une erreur de supposer que l'enfant ne peut pas apprendre, qu'il est trop jeune. Vygotsky, la zone proximale de développement, et aujourd'hui les pics de plasticité du cerveau, qui rythment la vie et les apprentissages, naturels ou non, de l'enfant, puis de l'adolescent et de l'adulte.  

D'un point de vue éthique, qui nous intéresse ici avant tout : favoriser en lui les tendances les plus humaines, au sens de l'humanisme. Reboul: unir, mais dans la compréhension, la raison, l'universel. Pas dans le mensonge ou les stéréotypes. Le débat à visée philosophique: viser cet universel, le viser à la fois ensemble et par soi-même.

Or il est si facile d'unir dans la  haine, et c'est ce que font les « utopies » scolaires totalitaires. 

Non, c'est le désir de comprendre que je dois encourager, comprendre autrui, se comprendre soi-même, et aussi le sens des responsabilités.

 

Le protéger, mais cette fois des séductions et des facilités, de lui-même au fond:  ne pas le laisser régresser. Hélas! Seul l'être humain sait être inhumain, et de plusieurs manières encore, indifférence, routine, obéissance, passion, cruauté. 

Cela suppose un engagement authentique de la part de l'éducateur, forcément politique au fond. Il ne se contente pas de fonctionner. Unité de l'éducation morale et de l'éducation à la Cité, au vivre-ensemble dit-on dans le jargon contemporain. 

Valeur centrale: l'humanité. Privilégier la compréhension, la raison, ce qui permet de s'entendre. Ce qui unit dans la lucidité, non dans la passion, la ruse ou la violence: ne pas encourager la séduction-sidération de la violence.

 

A partir de là, peu de sens à opposer culture et responsabilité éthique de l'enseignant, enseignement et éthique. Aider l'élève à insérer sa liberté dans le monde. L'exemple type, c'est la langue (Bentolila). Responsabilité éthique à l'égard aussi de la culture et des savoirs, des méthodes rationnelles de penser et de s'exprimer.

 

Éduquer, c'est introduire l'enfant dans un monde et un temps humains, symboliques, la culture.

 

Hannah Arendt: l'éducateur représente le monde, avec cette épaisseur culturelle, dans la classe. Des repères et des clefs véridiques pour comprendre un monde en perpétuel changement, ne pas en être la proie. Non les étourdir de connaissances désordonnées ni les inviter à zapper selon leurs lubies.

 

Nous n'en sommes pas moins responsables des programmes: mais cela veut dire aussi que tout enseignant a le droit et le devoir de se demander ce qui mérite d'être transmis, et pourquoi. D'où les associations d'enseignants. Il est préoccupant de voir parfois les programmes imposés, au nom de la "réforme", sans consultation des enseignants.

 

Que faut-il enseigner à l'école? Réponse de Reboul: des savoirs à long terme, structurant, et que la vie n'enseignera pas spontanément à la majorité des élèves. Disons les clefs de l'expérience humaine et de la compréhension du monde, y compris dans sa dimension historique (le passé, l'avenir).

 

Comment préparer à l'avenir? Privilégier ce qui restera vrai, sans doute, demain et après-demain. La culture générale.

 

 

 

Deux scrupules complémentaires:

 

Ne pas endoctriner sous prétexte d'enseigner ou d'éduquer. Où finit l'humanisation, ou commence la propagandisation de l'école, selon la formule de Péguy ? Sous prétexte de civisme, dressage...

 

Mais à l'inverse, ne pas abandonner l'enfant sous prétexte de respecter sa liberté. L'abandonner aux préjugés de toutes espèces, y compris religieux. Laïcité. L'abandonner à sa mauvaise volonté, au désir de régresser peut-être...

 

Nous devons donc à la fois protéger la capacité créatrice de l'enfant et le faire bénéficier du capital intellectuel et culturel dont bénéficient les mieux lotis. D'où l'école publique., ou plutôt l'Idée de cette école.Il s'agit, en quelque sorte, de populariser, rendre populaire, ce qui est en soi universel. De ce point de vue, l'instruction n'est pas un droit dont l'enfant pourrait se dispenser, c'est une responsabilité, une obligation de l'adulte et de la Nation. Même chose pour la culture et l'éducation morale.

 

Notion d'intérêt intellectuel de l'enfant : Jules Ferry opposait parfois cet intérêt intellectuel au intérêts de l'industrie et du commerce (or une vulgate marxiste fait de Ferry le pourvoyeur d'ouvriers utilisables par le capitalisme français...)

 

D'intérêt éducatif, qui prime toute autre considération. Je m'impose devoirs et limites en fonction de cet intérêt de l'enfant.

 

B. Illusion de toute-puissance de l'enseignant qui croit en son métier ?

 

Cela a-t-il un sens, si vraiment tout se joue ailleurs qu'à l'école, dans les mystérieux déterminismes socio-culturels dévoilés - paradoxalement contre le marxisme - par Bourdieu? Malgré toutes les raisons quotidiennes de ne plus y croire, la lassitude et les doutes, le stress, nous devons garder la foi dans ce métier : il existe un certain "effet-maître", une efficacité, ou plus-value éducative du professeur qui "y croit".

 

Disons le autrement : conjurons la tentation de faire ce métier, non plus pour l’élève, mais malgré l’élève, voire contre l’élève !

 

Je vais à présent discuter le point de vue de Meirieu, tel qu'il l'expose dans son livre Le Choix d'éduquer, éthique et pédagogie. Accusé volontiers par les, ou des, enseignants, d'être démagogue, de faire de l'enseignant une sorte de Tyran, il propose précisément une apologie inattendue de la volonté de puissance, de maîtrise, de l'enseignant. En effet, l'enseignant doit avoir un certain grain de folie, il doit croire en son pouvoir de bousculer les déterminismes bourdieusiens, ou l'indifférence de l'élève. Et Meirieu d'évoquer la Nolonté de Renouvier! Je veux dire une certaine fermeture, mauvaise volonté de l'élève, pas de Renouvier, bien entendu... 

Le postulat d'éducabilité selon Meirieu fait penser aux conceptions éthiques de Ricoeur, ce que Ricoeur appelle l'"homme capable":

 

1 Tout élève peut progresser

 

2 Je peux faire progresser tout élève, en tout cas cet élève, devant moi, en chair et en os. Je n'ai donc pas le droit de l'abandonner à son sort

 

Bien évidemment, sans tomber dans la mythologie de l'effet pygmalion, les deux idées sont interdépendantes, c'est-à-dire que Meirieu pose son postulat dans le cadre d'une éthique de l'intersubjectivité.  

 

Mais il note tout autant les risques:

1) de s'aigrir, suite à l'échec, de ne voir que ses échecs. L'enseigant consciencieux finit par ne plus voir que l'élève en difficulté, peut-être un seul. Cela lui devient insupportable.

 

2) De s'emporter contre l'élève qui pour ainsi dire ne veut pas de mes efforts. sorte d'amour déçu!

 

Non, l'enseignant n'a pas le droit de demander à l'élève de réussir, mais il doit tout faire pour qu'il réussisse. Disons que l'élève ne réussit pas pour l'enseignant, mais que l'enseignant a le devoir d'être efficace (obligation de résultat, mais seulement au plan éthique, et non pas juridique ou administratif.) Or enseigner, cela ne se réduit pas à l'efficacité, car l'enseignement n'est pas soluble dans la technique. D'où sa dimension profondément éthique, c'est-à-dire humaniste, c'est-à-dire éducative!

 

Sans doute en raison de l'exigence extrême de son éthique de l'enseignant, et comme pour l'adoucir, Meirieu voit une nécessité vitale pour l'enseignant de pratiquer une sorte de pause éthique, ou pédagogique. Pour se protéger contre sa propre conscience professionnelle! Bref, on ne doit pas tout à ses élèves, on leur doit également de "durer".Ainsi, il sanctionnera malgré lui, en montrant qu'il en souffre. "Le premier qui parle..." C'est que l'éthique se résume chez lui à la relation interpersonnelle d'un élève et d'un enseignant. Ou encore, c'est parce qu'il a une conception trop exigeante de l'éthique de l'enseignant, qu'il est amené à proposer un arrêt, ou sommeil, de l'éthique. Mais non, pas plus qu'il n'y a de sommeil du droit, il n'y a de pause éthique, du moins légitime. 

Russell, plus simplement, expliquait que tous les enfants sont difficiles, et qu'on ne peut guère les apprécier plus de deux heures par jour (soit à peu près le service hebdomadaire d'un agrégé, qui bien sûr travaille davantage, mais hors de la présence des enfants, sinon les siens...). La bienveillance, écrivait-il en 1935, ne se commande pas.

 

Dans une perspective plus républicaine, on ne peut pas opposer l'apprentissage de la règle commune et l'éthique. Ainsi Alain explique qu'il faut punir comme on range sa classe. La faute d'hier ne vaut plus aujourd'hui, chaque jour est un nouveau commencement. Freinet: apurer les comptes. 

 

Alain: l'enseignant ne doit être ni sentimental ni rancunier, ce qui va peut-être de pair.

 

Feindre l'indifférence, c'est ôter à l'élève la croyance qu'il peut faire souffrir l'adulte. La force du maître, quand il punit, c'est que l'instant d'après il n'y pensera plus, car il s'agit d'orienter l'enfant vers l'avenir, vers ses propres progrès. Non de l'enfermer dans la faute, ou l'erreur, d'hier. Bien sûr il ne faut pas exagérer, comme le font ces enseignants qui prétendent que les insultes de leurs élèves ne leur font ni chaud ni froid!

  

Ainsi, l'éthique de l'enseignant s'analyse en trois termes: protéger l'élève. Le respecter. L'élever.

 

Mais également responsabilité à l'égard de la culture (le Monde dit même Arendt) et aussi de la loi commune (la conception républicaine de l'école, remise au goût du jour par le ministre V. Peillon).

En guise de bémol, ou d'avertissement, notons une limite de ces discours, limite bien signalée par le sceptique Russell. On  aura beau se farcir la tête de principes moraux et pédagogiques, ils ne servent plus à rien quand l'on est épuisé ou exaspéré par les élèves, les parents, la hiérarchie, ou plus prosaïquement ses conditions de travail! C'est ce même réalisme qui conduisait Meirieu, à tort selon moi, à évoquer et recommander une pause (et non une pose!) éthique.

On peut conseiller sur ce thème le film "Ca commence aujourd'hui" de Bertrand Tavernier (1999) avec Philippe Torreton.

 

 

 

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écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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