Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
écrits du sous-sol 地階から
29 avril 2019

Le rêve de Carlos Ghosn. Poésie

Les papiers du Paradis

Le Paradis est-il pavé d'or? De ce métal infâme, et fratricide? Qu'en pensent les milliardaires, du moins ceux qui se nomment Caïn ? Ou bien Carlos?

Voici en tout cas - à Bâle ou à Tokyo - le rêve, ou le cauchemar, de l'un d'eux :

Ce rêve qui m'est coutumier n'est pourtant pas tout à fait le mien; c'est bien plutôt celui d'une recluse cachée dedans la maison: il a en effet son regard et sa voix enchantés, ceux de mon amour. C'est dire que cette belle recluse habite ce rêve un peu à la manière dont l'huître perlière habite sa coquille.

Plus exactement, elle est, avec moi peut-être, l'unique prisonnière de cette prison, et jamais ne me regarde, de ses yeux dorés, de ses yeux comme orangés, et c'est moi qui, seul, la contemple, comme un avare, un vieux grigou, son trésor. Sa peau, sa chair même, ressemblent à l'odieux métal caché dedans la terre, dedans les coffres-forts de la ville de Bâle, à ce métal cause de tant de guerres et de trépas infâmes, métal dont pourtant ni le poignard ni le fusil ne sont faits.

Hélas, ce rêve a depuis peu changé. Depuis quand? Depuis que l'on m'a volé ma maison, ma ville, depuis que l'on m'a volé mon amour, depuis que l'on m'a volé mon coeur d'enfant. Et ma montre suisse aussi. Et mes lingots! Depuis qu'ils veulent, les jaloux, me remettre en prison.

La fille enchantée s'est cachée, dedans ces cartons où l'hiver tentent de s'abriter les pauvres qui peuplent nos rues. Son corps menu et gracile comme celui d'une enfant se laisse à peine deviner, et elle dort, d'un sommeil lourd, invincible, d'ivrognesse, de droguée.

Mais je suis si colère, si enragé, dans ce mauvais rêve, que je finis par jeter dehors la pauvresse en or sans plus du tout me soucier de sa valeur marchande. Elle tombe dans l'escalier, d'une chute aussi lourde que son sommeil de chose morte à jamais. Cela se passe, me semble-t-il, dans cette soupente ignoble, baptisée studio, où survivent, quand ils ont 18 ans, les pauvres à qui je la loue, fort cher, à Paris, ou bien Londres, ou bien Genève.

Ainsi, il n'y a pas que l'argent qui dort, et rêve peut-être, l'or aussi quand du moins il s'ennuie dans ses coffres, dans sa banque, dans sa bonne ville de Bâle, en Suisse, tout au bord du Rhin.  Ou bien à Tokyo...

 

Commentaire:

ce thème pourrait sembler mal se prêter au jeu de la poésie... Est-ce vrai? Certes, la poésie est portée au Je et au Tu, et à l'amour, à la musique de deux coeurs qui s'épanchent. En réalité on poétise parce qu'on est seul, ou qu'on se veut seul, ou qu'on se prend pour l'Unique, la Langue elle-même par exemple! Le poète, comme le radin, porte en lui Caïn, la haine de son aîné.

Et alors? L'avarice devient un thème poétique, de par sa façon d'exclure l'autre en l'incluant dans le jeu de la langue, comme de par sa façon de chanter l'or, l'or bien aimé, l'or mal aimé, mal aimée, chanter sa présence et l'angoisse de son absence. Ma cassette!

L'or de l'avare est ici une femme, charmante et indifférente, un pur objet de convoitise, mais qui lasse par son indifférence même, car l'amoureux veut être aimé. Mais l'avare souffre aussi d'être moins aimé que son argent, et pour cela il le garde, s'en sert pour faire souffrir. Il se prend pour son or, donc ici pour cette femme en or qui finit par rêver le rêve à sa place! Surtout, il est déjà en prison et craint qu'on l'y mette, que les pauvres s'en prennent à lui, lui déjà prisonnier de sa richesse infâme, de cette avarice dont il a honte comme d'une tare, et dont il est fier pourtant.

L'avarice est ressentiment, c'est Caïn contre Abel: le riche se veut volé, ou sur le point de l'être, son argent est à lui, pas à l'Etat, il est libéral! Il oublie le sens premier du mot, je le crains, je veux dire que libéral s'oppose à avare.

Si je fais surtout de la psychologie dans ce poème, je n'ai pas voulu oublier tout à fait la dimension politique. Le pauvre type qu'est le riche fait signe vers une autre pauvreté, celle du pauvre, qu'il exploite toujours d'une manière ou d'une autre.

L'argent dort, rêve peut-être, et ce sont - qui sait - des rêves de gauche, voire d'extrême-gauche. C'est symétrie, puisque la gauche gouvernementale a des rêves de riches, d'avares, d'économies au profit des plus fortunés!

Baudelaire: répétition, symétrie et surprise! C'est le poème même!  

 

Publicité
Publicité
Commentaires
écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 69 749
Pages
Newsletter
2 abonnés
Publicité