femme idéale: TGV, tu hurles dedans ma nuit, sous mes fenêtres, à minuit!
Trains étincelants, cinglants, inutiles, toujours en retard,
O tgv!
Les bois et les prés se sont posés sur mon âme
Comme sur la figure du dormeur
Les traces rouges du drap, et des balles
Je t'aimais pourtant, o tgv, comme on aime une femme
car tu ressemblais à toutes les femmes,
Du moins les maigres et les frisées, et de petite taille.
Bleues d'Atlantique perchées sur des échasses, des ponts, de hauts talons.
Je t'aimais, Bleue d'Atlantique, car tu me ressemblais,
Tu étais belle comme je suis beau,
Mais d'une autre manière,
Car belle tu ne l'étais point.
Et c'est pourquoi je t'aimais,
Et aussi parce que tu étais une image,
que ce que tu fus, ce que tu es,
tu voulais le perdre dans les eaux troubles du passé
A la manière dont on perd
Dans les eaux du Nil
Ou d'un autre fleuve riche lui aussi de toutes ses puanteurs
La Seine ou bien la Garonne quand elle se fait Gironde
un nourrisson
Qui me ressemble dans la nef fragile de son corbillon
Et qui te ressemble
Dans la nef fragile de son tourbillon
Comme je te ressemble
Sans jamais pourtant y arriver,
Je ne suis qu'un pauvre Orphée, et ton ombre n'a pas la langueur de celle d'Eurydice
De son amour fauve et effacé
Je ne suis qu'un pauvre Orphée
Je te rêvais, de loin, de loin, toujours plus loin
Je te rêvais vite, très vite, toujours plus vite,
O combien de kilomètres, et à quelle vitesse, O tgv stoppés en pleins champs la nuit dans un rêve rouge comme l'encre du sang
De mon sang
De ton sang
Qu'écriront tous nos avenirs toutes les Russies, et les Polognes, et les Espagnes, de ce sang rouge comme celui d'un lumignon à demi éteint
Fade comme nos amours ébauchés
Comme nos amours avortés
Avorton, avorton, quelle est votre misère
Est-elle celle de la grenade à la saveur éteinte, endormie,
Ah le pauvre fruit funèbre!
Comme je le plains!
Ou bien ressemble-t-elle à celle des humbles bêtes que personne ne plaint?
Et moi, et toi,
A présent
qui me plaindra, qui te plaindra?