peines de coeur pour rien
Pour les contemplatifs et les timides de mon genre du moins, rien n'est plus beau ni plus triste qu'une histoire d'amour inaccomplie - tout semble alors à jamais possible, même le bonheur - si du moins l'aimée ne vous a pas envoyé à la figure vos fleurs en vous traitant d'obsédé, cela va de soi. Tandis que l'amour vrai sent la sueur et bientôt la bagarre! Ah le désamour!
L'ivresse amoureuse, la croyance en une consonnance infinie de deux âmes. Puis le doute: m'aime-t-elle? Voir Bayle Stendhal, de l'amour.
Mais il y a une autre condition de cette ivresse, de cette promesse fausse du bonheur, non bien sûr la conjonction réelle des âmes, encore moins des corps, mais du moins qu'en idée cette conjonction des âmes et des coeurs ne soit pas trop invraisemblable, ou plutôt pas totalement invraisemblable, du moins aux yeux de l'amant. Par exemple, se dit-il, si elle ne veut pas m'embrasser sur la joue,alors qu'elle le fait avec tous les autres mâles, c'est donc qu'elle en a très envie. Ou encore que ce genre de bisou lui semble indigne de cette immense passion, immense mais secrète, qu'elle éprouve à notre endroit, ou à notre envers.
Mais l'on n'ose pas faire sa déclaration, on se doute bien de ce qui se passerait en réalité! Allô la police des genres!
Et puis il faut encore que naisse quelque rejeton de ce délicieux désespoir, par exemple un poème, ou bien un volume de la Recherche du temps perdu. Ou encore le beau portrait de la femme aimée, son beau profil de lionne, son corps svelte et soyeux dont on rêvera le jour et la nuit, puisqu'on est amoureux.
Mais enfin cet amour si pur, pur à en pleurer, n'est jamais qu'un faux amour, et c'est là le plus triste, et c'est là le plus délicieux.