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écrits du sous-sol 地階から
18 avril 2017

pourquoi le mal?

Voulez-vous le savoir? Sans doute non, ou plutôt vous voudriez, contre toute évidence, nier la présence du mal, en douter, vous donner l'air d'un esprit critique, profond, que vous n'êtes pas, car en réalité vous cherchez sans doute à faire du mal un bien relatif, ou du moins la condition du bien, ou de la piété, une fausse piété selon Dostoievsky. Le livre de JOB l'avait déjà dit, et c'est en somme l'athéisme au sein de l'ancien testament!

C'est pourtant là la question lancinante, la croix et la bannière de toute métaphysique qui prétend justifier l'existence d'un monde et surtout d'une humanité. Or par le fait même d'expliquer, la métaphysique se voit tentée de justifier le mal et donc de le nier en tant que tel, en tant que mal, d'en faire - scandaleusement - un bien. 

Ainsi, on dira que le mal est la condition d'un bien supérieur, par exemple un bien à venir (progrès plus ou moins "dialectisé", ce qui ne veut rien dire, et ce vide est significatif en lui-même). C'est le thème du progrès, voire de la positivité - toute dialectique bien entendu - du mal dans l'histoire, censé faire avancer les choses, la cause de l'humanité. C'est alors justifier le supplice du malheureux, de la victime par le bien de quelqu'un d'autre, ce qui est honteux. Cela suppose d'ailleurs - comme dans l'utilitarisme - une mesure commune de l'avantage supposé, toujours relatif, et du mal subi, infini. Ou encore, ce qui est pire, on rendra responsable la victime du mal qu'elle subit pour mieux nier la réalité du mal et en tout cas de son injustice.

Pardonner est bien vu, mais c'est en somme nier le caractère irréparable de l'injustice, du supplice subi par le petit enfant. C'est rejeter ce supplice dans un passé révolu, et donc annuler le mal subi, ce qui est derechef insupportable au point de vue moral. Mais se venger, ou venger, c'est ajouter le mal au mal, transformer le bourreau en victime, et c'est par là innocenter le bourreau, ce qui est également mauvais, de l'ordre de la négation du mal accompli.

Il existe surtout une fausse piété, qui fait du mal un élément voulu par Dieu et fait par conséquent de Dieu le complice du méfait accompli. Cette prétendue piété nie la réalité du mal, s'en dispense, se dispense de la question primordiale, qui n'est pas qu'une question mais plutôt un scandale.

Le mal est injustifiable et impardonnable nous apprend Dostoievsky. Surtout on ne saurait se venger sans accroître encore la part du mal dans la réalité.

On ne peut que se révolter contre lui. BUNT en russe. Бунт или религия!

Evoquons Schelling, qui explique très bien qu'en soi le mal est la condition du choix, de la bonne volonté. Par conséquent la possibilité du mal doit exister, en revanche le mal ne devrait pas exister. Mais cette possibilité niée d'emblée est tout aussitôt une réalité, en tout cas une puissance qui tend par conséquent à se réaliser, à s'actualiser... Et certes elle ne le devrait pas, ce qui est l'ironie insupportable de la chose.

Tout se passe comme si l'affirmation du bien supposait un fond de mal, de méchanceté, par exemple en un autre être, ou plutôt comme si l'être proprement dit supposait un double mauvais de cet être, une force qui quoi que l'on fasse tend à exister  - alors qu'elle ne le devrait pas.

D'où - peut-être - en littérature le thème du double. En anthropologie Girard explique plus profondément que le désir a besoin d'un rival pour se fixer sur un objet. La haine est mimétique et indissoluble de la construction de l'objet désiré. Elle tend à faire de l'autre mon double néfaste et par là-même à le tuer au nom du bien, c'est-à-dire du mal déguisé en bien.

Mais le mal est sans doute plus banal, il exprime un insuffisant développement de la moralité, dite naturelle et qui est plutôt l'exception. La plupart des gens n'ont jamais choisi de préférer en toute occasion leur devoir, ils n'ont pas choisi non plus le mal, du moins explicitement. Ils se laissent aller au rythme de leur lâcheté, de leur méchanceté, de leur indifférence. Ils trichent, ils confondent par exemple l'idéal de justice avec un jeu judiciaire, un jeu de ruse et de violence où l'on abuse sans cesse du sens de la loi en la réduisant à une simple contrainte extérieure, sans tenir compte de l'esprit de la loi. Le jésuitisme, qui est bien sûr moral avant d'être procédural. 

On rappellera enfin que le bien est rarement senti profondément, quand la douleur de l'injustice subie constitue une évidence impossible à nier. Et de même du plaisir et de la douleur proprement dite, physique. Par conséquent, la présence du mal est indiscutable, le bien est toujours discutable, sinon comme suppression du mal subi, moindre mal. Le masochiste et le sadique font l'un et l'autre le choix de ce qui est indiscutable, ils sont en ce sens pragmatiques. L'homme de bonne volonté est, sinon condamné au doute - il croit en sa puissance d'action et en son discernement moral par définition - du moins susceptible de douter, l'homme de mauvaise volonté non, il se sait réaliste et dans l'ordre des choses. 

Mais s'avoue-t-on si facilement mauvais? Freud parle d'une pulsion de mort, qui se déguise, se vêt des oripeaux de justifications diverses, religieuses ou même pseudo-morales, comme si la méchanceté ne s'avouait jamais comme telle. On voit - toujours dans l'anthropologie de René Girard - le phénomène omniprésent du bouc émissaire qui assimile la victime à l'origine du mal substantiel qui hante toute société et punit par conséquent la victime de la violence ! Le mal serait donc à la racine même du fonctionnement social. Par conséquent la morale véritable ne proviendrait guère de la sociabilité spontanée de l'homme, mais d'un arrêt de cette sociabilité.

Qui croirait en un tel miracle?

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Commentaires
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  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
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