lire Proust, à l'infini
Certains se plaignent de la longueur de la Recherche du temps perdu (il existe même une version condensée!) ; d'autres - faut-il dire au contraire? - y voient occasion d'exploit sportif, et se vantent de l'avoir lue, ou même de l'avoir relue qui trois fois, qui vingt fois.
L'erreur est bien sûr de vouloir finir cette lecture, de la mettre au passé, pour passer à autre chose. A-t-on jamais vu un curé troquer sa Bible pour un Talmud? Peut-être, après tout... Et qui se plaindrait d'être indéfiniment heureux? De jouir en tout cas de la quintessence de l'existence, y compris sa part de deuil et de folie, de jalousie, sans jamais parvenir au terme.
Il conviendrait donc d'être indéfiniment en train de lire Proust, pas même de le relire, car on ne retient guère de la route déjà parcourue, sinon quelques impressions générales, et le souvenir de l'aspect particulier d'un caillou, d'un signe végétal, d'une montagne ou d'un promeneur. Il en est comme de la vie, le bonheur est de n'avoir pas encore fini. Mais la vie finira, et la Recherche, circulaire comme on le sait, jamais. Ou bien faute de lecteurs.
Mais après tout, qu'on prenne la Recherche pour quelque Annapurna n'est pas une si mauvaise chose, pourvu que l'Annapurna conquière son outrecuidant conquérant!