Alzheimer (1) poésie sénilité: Paris comme on fuit sa prison
- Je me promenais dans Paris comme on fuit sa prison, chaque rue était pour moi la promesse, toujours déçue il est vrai, d'un monde, le même, mais plus clair seulement, ainsi que le soleil, un jour beau et solennel comme un hiver.
- Un monde identique dis-tu... mais les rues n'étaient pas les mêmes, elles se jouaient de ta mémoire, et leurs noms n'étaient pas les bons.
- Je m'égarais en des places jamais vues de ma vie, à 100 m de chez moi.
- Avais-tu un chez toi?
- Je posais sur chaque trottoir un point d'interrogation semblable à une fumée qui fuit - ainsi que ma pensée de bois mouillé - sa propre cheminée. Je me posais d'indescriptibles questions.
- Mais qui les aurait comprises? Je ne te le reproche pas, moi même je ne me comprends plus guère depuis longtemps. C'est que la langue n'est plus la même, me disait l'ami Ovide un instant avant qu'on n'oublie tous ses livres! Les mots du latin hurlent leur chagrin au fond de ma mémoire adultère.
- Je voulais savoir si dedans ma cervelle mes souvenirs étaient liés les uns aux autres par un mot comparable au carrefour du boulevard Ornano et de la rue du Nain jaune!
- Ne t'inquiète pas, ce n'était qu'un jeu d'autrefois, qui ne t'amusait guère, le dimanche du moins.
- Je gravissais la butte Montmartre dans l'espoir de retrouver de l'autre côté le miroir des choses, parmi des rues à jamais villageoises, celles d'une ville de banlieue lointaine, Taverny, Auvers, Marolles en Brie ou Combs-la-Ville.
- Surtout Taverny, où tu te perdis tout un long jour d'été?
- Un chien me suivit longtemps et ne m'abandonna qu'aux abords du périph', non loin de la porte de Clignancourt, chez Zazie, un jour de grève et de métro.
- C'était la première fois qu'on s'attachait si longtemps à toi! Mais il manque quelque chose à ces juvéniles errances, et c'est le sens du temps qui passe! et qui trébuche! et qui trépasse!
- Et le livre m'apparut, en un grec aussi lisible pour moi que le français des rues, on y traitait de la forme des choses, leur forme commune à toutes, un mot qui dirait tout.
Je repense à ce poème, après avoir vu le film "still Alice", avec Julianne Moore, film de Richard Glatzer et Wash Westmoreland. Ce mot est, pour ces Chrétiens je suppose, Love.