Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
écrits du sous-sol 地階から
11 mars 2017

le chat, cet inconnu

 

Soi-même comme un Matou

 

Je pense, donc je suis. On traduit bête-ment, je pense, donc je suis un homme! Comme si l'homme pensait! On en a voulu à Descartes de la théorie des animaux-machines. Alain l'en félicite tout au contraire. En effet on accorde toujours trop de pensée aux animaux - y compris et surtout les hommes!

En réalité, je suis déjà très content de moi quand j'arrive, sans trop de dégâts, à me servir d'une machine. Par exemple un distributeur de café, ou une photocopieuse, pour ne rien dire des ordinateurs, ces bêtes capricieuses. On y cherche une place de cinéma, et on se retrouve avec un billet d'avion pour Ulan-Bator. Mais je n'ai pas grand chose à faire à Oulan-Bator. Je crois bien que je vais renoncer aussi à aller au cinéma. Il en va de la technologie comme de l'amour, ou de la guerre, les choses ne se déroulent jamais comme on le voulait. Les animaux sont généralement plus reposants.

 

Beaucoup éprouvent pourtant à l'égard des animaux une sorte d'effroi. Ils n'ont pas peur des bêtes, ils ont peur de devenir comme elles. Si ce risque de contagion existe, alors nous ferons bien de surveiller aussi quels bipèdes nous fréquentons. De toute façon, je crois bien que nous serons machine, ou pièce de la machine, avant d'être chat.

Un chat, ça vit. Nous ne le connaissons pas comme on connaît une équation; nous éprouvons une certaine connivence à son endroit. Nous aimons nous entourer de certains animaux, à fourrure et à sang chaud, ni trop malins, ni trop stupides - le chat par exemple. Pas trop malins, car alors ce serait le chat qui nous aurait, et plus nous qui aurions un chat. Le chat est cependant assez manipulateur. Voici qu'il frotte son crâne à mes bas de pantalons, puis se dépêche de filer vers la gamelle - tout cela avec presque autant de conviction que Louis de Funès réclamant une promotion à un supérieur.

 

Le maître d'un chat est assez ridicule. Il est héroïque de se glisser dans la peau d'un lion. Mais que dire de celui qui, comme moi, joue aux matous? Bien sûr, il fut un temps où l'on prêtait aux chats bien des maléfices, en particulier une science peu commune. De nos jours, si l'on se fait chat, c'est qu'on imagine que cela est moins fatigant, en tout cas moins exigeant, que d'être homme. Pourtant ce n'est pas si facile de nous immiscer dans le monde du chat. On le dit égoïste, et il l'est. Mais le mien pousse des cris déchirants quand il me voit traverser l'avenue pleine de circulation, et il ne se calme que si on lui donne à manger pour le distraire.

Nous tentons surtout d'immiscer les chats dans notre monde. Nous leur parlons, mais ils nous répondent toujours à peu près la même chose, miaou, et cela veut dire aussi bien oui que non. Cela ne nous gêne pas tant que cela. En toute liberté, nous prêtons à ces pauvres bêtes certaines de nos intentions, et nous leur en refusons d'autres. Nous voulons connaître le chat, mais au fond nous craignons tant d'être déçus.

L'on a donc écrit de gros livres de psychologie sur le chat, comme aussi sur la femme, ou sur l'enfant. Tant que les chats ne prendront pas eux-mêmes la plume, cela ne prouvera d'ailleurs pas grand chose. Et encore, quand le chat écrira, et bien, nous ne comprendrons pas ce qu'il dit. Peut-être écrit-il déjà? Il griffe nos meubles en bois, en tout cas, et ses congénères examinent cela avec intérêt. C'est une grave question. Le chat parle-t-il? Le mien, en tout cas, me tient de longs discours. On dirait qu'il me raconte sa journée. Peut-être qu'il m'engueule? C'est affaire d'humeur - au moins de la mienne.

Certains auteurs ont trouvé là une sorte de filon littéraire. Quand il sera épuisé, on passera au chien, et puis à l'homme. Et nos auteurs de distiller sur le chat quelques dures vérités, et à côté de cela de flatter habilement nos attentes, en donnant un visage presque humain, bonhomme, à l'altérité de l'animal. Ils expliquent que le chat est incompréhensible, qu'il n'aime pas vraiment son maître, mais son confort, qu'il marque de phéromones le corps de son maître comme il le ferait d'un mur. De toute façon, il ne se souvient de nous que lorsqu'il nous aperçoit, ou qu'il a faim. Tournons quelques pages. Voici que le chat est un ami, qu'il s'efforce de nous comprendre, de trouver une place pour nous parmi ses catégories de chat. Le chat a bien du mérite! Quelques pages encore, et notre chat est un héros. A défaut de porter à la force de ses moustaches son maître malade jusque chez le vétérinaire - ce n'est qu'un chat après tout, et on lui pardonnerait cette erreur - il harcèle l'épouse, ou le voisin, ou un passant, ou le chien, jusqu'à ce que l'un d'entre eux vienne voir ce qui se passe.

On le voit, nous nous plaisons à entrelacer en lui, le chat, la ressemblance et l'altérité; mais aussi la banalité et l'extraordinaire. Le chat est plus vivant que l'aquarium de poissons rouges; plus chaleureux en tout cas. Et qu'il soit comme nous ne nous déçoit pas, comme il conviendrait pourtant. C'est occasion d'émerveillement! Son altérité ne nous effraie pas: C'est une panthère, un lion, un tigre - oui, mais en miniature. Le chat est à la nature ce que le bonsaï est à l'arbre: tout entier nature, et tout entier artifice. Une tempête dans un verre d'eau, et en plus apprivoisée, à laquelle ne manquerait que la parole. Je ne dirai rien des tremblements de terre, je sais, c'est de mauvais goût.

 

Le chat est-il donc un jouet pour l'homme de lettres ou le philosophe vieillissant? Euh, mûr disons. Et pourquoi pas? Je sais bien qu'il est à la mode de torturer l'intelligence des vieillards avec des jeux électroniques japonais. C'est qu'il s'agit de fonctionner - même à 50 ou 80 ans.

Franchement, ne vaudrait-il pas mieux nous laisser méditer notre vie, et notre mort aussi, au fond d'un jardin, auprès d'un matou calme, et qui nous ressemble? Auquel nous nous efforcerions, en tout cas, de ressembler? Dans ce jardin, on pourrait fumer la pipe, si ce n'est pas encore interdit. J'entends: cela dépend de ce que l'on mettra dans sa pipe. Je ne parle pas du matou, mais de son maître, bien entendu.

 

Et il m'écoute, lui! Je parle bien du matou, cette fois.

 

Ce n'est donc pas que le chat ne s'intéresse pas à ce qu'on lui dit. C'est qu'il a fini par renoncer à comprendre notre langue. J'ai lu ça dans le gros livre dont je parlais tout à l'heure, celui de Joël Dehasse, vétérinaire de son état, (ça s'appelle tout sur la psychologie du chat). Quelque part entre le chapitre sur le chat altruiste, et même télépathe, et celui sur le chat comportement pur et égoïsme pur. Il faudrait savoir, cher Docteur vétérinaire!

Il faudrait savoir... voici ce qu'écrivait le grand humoriste britannique, Bertrand Russell, dans son Histoire de ses idées philosophiques. C'est Russell qui écrit:

 

Je m'aperçus, non sans y prendre quelque plaisir, que les animaux, apparemment, se conduisent toujours de manière à prouver la justesse de la philosophie de l'homme qui les observe.

 

Oui, on observe le même phénomène en théologie appliquée, je veux dire dans les prophéties. Sauf que Dieu est plus propre que la plupart des animaux de compagnie, disait à peu près Romain Gary. Emile Ajar, ce n'était pas mal non plus, comme animal de compagnie. Etait-il propre? Mais revenons à nos animaux de laboratoire.

 

Au XVIIe siècle, continue Bertrand Russell, les animaux étaient féroces, mais sous l'influence de Rousseau, ils commencèrent à illustrer le culte du Noble sauvage dont Peacock se moque dans Monsieur Ourang-Haut-ton. Pendant tout le règne de la reine Victoria, les singes furent de vertueux monogames, mais durant les années 20 leurs moeurs se détériorèrent d'une manière désastreuse. Cet aspect du comportement des animaux ne me concernait pas toutefois.

Oh, moi non plus, cher Russell, veuillez bien le croire! Mais j'en arrive à la perle de cet extrait:

 

Les animaux observés par les Américains foncent avec frénésie jusqu'à ce qu'ils tombent par hasard sur la solution. Les animaux observés par les Allemands restent tranquillement à se gratter la tête jusqu'à ce qu'ils aient élaboré une solution dans leur for intérieur.

 

Voici la conclusion de Russell: je crois les deux ensembles d'observations entièrement dignes de confiance et que le comportement de l'animal dépendra de la sorte de problème que vous lui posez.

 

Le behaviorisme est un peu passé de mode. Par conséquent, de nos jours, le chat dispose de catégories, comme vous et moi, et de gènes, beaucoup de gènes, en particulier égoïstes. Le chat ignore l'objet, en tout cas l'outil, mais il possède un Ego très performant, de même pour la spatialité et même la temporalité. Surtout, comme nous, le chat vit dans un monde infesté de la fameuse maladie contre laquelle s'est tant battu le Docteur Ionesco. Je veux parler de la maladie du sens. Saint-Eugène Ionesco, priez pour nous!

Bon, parlons de ce qui nous intéresse: comment le chat nous voit-il? Nous les hommes. Je veux dire: comment mon chat me voit-il?

 

Et bien, le matou fait de nous ce que nous faisons de lui: il bricole avec ses catégories et ses significations pour laisser une place à cet intrus: l'humain. Ainsi d'après Joël Dehasse, l'homme pour le chat ressemble plus à un poème qu'à une catégorie. Debout l'homme est un arbre, c'est un espace à escalader. Sa main ou sa cheville est comme une proie qu'on essaie d'attraper. Et l'homme tout entier, c'est un ami, voire un gros chat maladroit; voire une maman métaphorique. Certains auteurs disent une mère toute-puissante. Le chat aurait bien besoin d'une psychanalyse!

Mais selon d'autres, ou les mêmes, tout au contraire, c'est une évolution génétique qui a condamné le chat domestique à vivre à nos côtés. Qui sait s'il n'y a pas en l'homme le gène du chat, et dans le chat, celui de l'homme. Pauvre chat!

 

Je préfère croire, en tout arbitraire, que le chat est un ami: l'amitié, un amour en somme que la Nature a oublié dans ses programmes, et qu'il nous a fallu bricoler ensemble, nous, le chat et l'homme.

 

En tout cas, le chat qu'on a pris dans ses bras en redemande: il ronronne là au chaud, mais semble aussi prendre plaisir à ce qu'on le soulève comme le ferait un ascenseur. Roger Caillois a montré que le vertige est une des catégories fondamentales du jeu. Alors disons-le, le chat joue, c'est-à-dire qu'il prend plaisir à jouer. Et le chat ne fait pas grand chose d'autre que ce qui lui plaît. Il serait étonnant, alors, qu'il soit étranger aux jeux.

 

Mais joue-t-il vraiment à attraper une souris invisible? On dirait plutôt qu'il est fasciné par une souris qui n'existe pourtant pas. Il cherche dix fois un repas absent dans sa gamelle vide, et sans apparemment se lasser. Il joue? Ou bien il oublie à chaque fois qu'elle est vide? Ou croit-il en la magie d'un repas surgi du néant? A moins que, dernière hypothèse, il soit en train de nous dire qu'il a un petit creux entre deux repas!

 

Boris Cyrulnik explique que les éthologues, les spécialistes du comportement animal, on fabriqué la notion de "prégnance" pour interpréter ce genre de comportement. Et eux, les éthologues, ils ne jouent pas. La prégnance fait ressembler le psychisme des animaux à la mentalité magique des anciens ethnologues. Un ensemble de conditions fait naître parfois chez l'animal une fascination sans objet délimité. Et voici le chat à la chasse d'une souris qui n'existe pas pour lui non plus. Le chat n'a pas besoin de souris pour l'attraper, voilà tout le mystère! C'est peut-être aussi le secret de l'émotion poétique, allez savoir. Qu'importe la liqueur, pourvu qu'on ait le flacon, en quelque sorte.

 

Le grand mathématicien René Thom nous donne la solution de ces étranges problèmes. Ecoutez attentivement, c'est un peu compliqué, mais je vais lire lentement.

 

Soient 2 points x, y, de grand D. Il y a équivalence phénoménale s'il existe grand U au voisinage de x, grand V au voisinage de y, et une fonction petit h, telle que, h va de grand U vers grand V, et que si petit z est élément de grand U et petit z' prime est égale à petit h de petit z dans grand V, alors les milieux locaux grand U petit z et grand V petit z prime ont même apparence.

 

Ah, je me suis trompé. Ce n'était pas z prime. Je recommence... Non c'était pour rire.

 

Et René Thom de nous proposer de construire une stratification des affects sur l'espace des coordonnées petit xi d'un espace des nombres réels à la puissance n.

 

Et bien, je savais déjà que mon chat était fort en philo, mais ce que j'ignorais, c'était qu'il était si bon que ça en maths!

 

Mais concluons: le chat n'est pas un sauvage, on le voit. Il est juste un peu égoïste et asocial. C'est-à-dire qu'on le voit mal devenir fasciste, et encore moins parano. Il n'en est pas moins très amical, surtout quand il est de bonne humeur. Tandis que le chien... c'est une autre histoire.

 

L'homme, passe le plus clair de son temps à dire du mal de son semblable, ce qui suppose encore un troisième. On dit donc que l'homme est animal social. Cela lui donne le droit de jalouser et même de haïr son voisin. Entre nous, l'homme est surtout un égoïste qui ne s'assume pas. C'est pourquoi il a besoin de murs afin d'oublier son semblable. Le chat, lui, y arrive tout seul comme un grand. C'est un artiste du je m'en foutisme. L'homme peine beaucoup pour se donner le droit d'être paresseux.

Pourquoi le chat est-il si sympa? Mais parce qu'il est asocial justement! Quand il s'intéresse enfin un peu à nous, et pas seulement à la gamelle, nous sommes tellement contents.

 

Le chat est très philosophe: il ignore tout de la passion, il ne connaît que le confort, et parfois un peu l'amitié. Pour lui, c'est un luxe. Mais le chat aime beaucoup le luxe, précisément. Il aime aussi fouiller dans les poubelles. Jamais content, et content de tout, le chat nous ressemble tant! C'est normal, nous le fabriquons à notre guise. Mais il ne se laisse pas faire; c'est bien connu: on n'a jamais vu de chat de garde!

Publicité
Publicité
Commentaires
écrits du sous-sol 地階から
  • Confiné dans mon sous-sol depuis mai 2014, j'ai une pensée pour tous les novices du confinement! Mais comme j'ai dit souvent, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 69 792
Pages
Newsletter
2 abonnés
Publicité